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Les bamakois diplômés de Paris

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il me dit “non, je n’habite plus chez Samba. Mais j’ai un lieu là-bas, viens,<br />

c’est nickel, viens“. Quand je suis venu, j’ai vu beaucoup plus <strong>de</strong> réalité. Bon<br />

peut être qu’au Mali, je me souciais beaucoup plus pour eux que pour moi.<br />

Parce que moi j’étais dans les conditions : un toit, je mange, j’ai ma voiture.<br />

Moi, c’était à eux que je pensais. Et eux, pour pas m’inquiéter, ils me disaient<br />

: “non, non, tout est nickel, ça va“. Quand je les appelle : “ non raccroche, je<br />

suis au boulot, après je te rappelle“. Alors que souvent, ils n’étaient pas au<br />

boulot. […] Je n’avais pas compris le système européen quoi. […] Je ne<br />

m’étais jamais mis en tête que pour avoir une maison en France, il fallait<br />

avoir beaucoup d’argent. Rien que pour avoir une location, il faut<br />

batailler… Parce que le poussin qui se trouve dans la coquille se dit que le<br />

mon<strong>de</strong> se limite seulement à sa coquille. Quand la coquille éclate, il voit un<br />

autre mon<strong>de</strong>.» Ibrahim.<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Mamadou et Daouda, en dissimulant la réalité <strong>de</strong> leurs conditions<br />

d’immigration – pour rassurer, ne pas inquiéter - ont alimenté l’idée d’une vie facile<br />

en France. Cette dissimulation ne se limite pas à préserver ceux qui sont restés au<br />

pays. Elle a également pour fonction <strong>de</strong> légitimer la migration. S’éloigner <strong>de</strong> son<br />

entourage, <strong>de</strong> ses proches, justifier son départ, son absence, à bien <strong>de</strong>s égards, quitter<br />

sa société d’origine ne va pas <strong>de</strong> soi. Et la migration, pour ce qui <strong>de</strong> mes<br />

interlocuteurs, a bien souvent généré une ambivalence <strong>de</strong>s sentiments ; par exemple,<br />

celle d’être tiraillé entre la culpabilité (celle d’être parti), la volonté <strong>de</strong> faire ses<br />

preuves (notamment à l’égard <strong>de</strong> ceux qui ont rendu possible la migration) et le désir<br />

<strong>de</strong> répondre à ses aspirations personnelles.<br />

Toujours est-il que « la méconnaissance collective <strong>de</strong> la vérité objective <strong>de</strong><br />

l’émigration qui est entretenue par tout le groupe, les émigrés qui sélectionnent les<br />

informations qu’ils rapportent quand ils séjournent au pays, les anciens émigrés qui<br />

« enchantent » les souvenirs qu’ils ont gardés <strong>de</strong> la France, les candidats à<br />

l’émigration qui projettent sur « la France » leurs aspirations les plus irréalistes sont<br />

la médiation nécessaire à travers laquelle peut s’exercer la nécessité économique 1 ».<br />

Cette forme <strong>de</strong> mensonge collectif reste un élément moteur <strong>de</strong> la migration.<br />

« La nature du mensonge – écrit Georg Simmel - est <strong>de</strong> faire naître l’erreur sur le<br />

sujet qui ment : car il consiste, pour le menteur, à cacher à l’autre la représentation<br />

vraie qu’il possè<strong>de</strong> 2 ». Pour les candidats à l’émigration, il s’agit alors <strong>de</strong> vérifier si ce<br />

que l’on raconte est vrai, <strong>de</strong> confronter une certaine idée <strong>de</strong> la France avec sa réalité :<br />

1 Op.cit., Sayad, 1999, p 50-51.<br />

2 Georg Simmel, Secret et sociétés secrètes, <strong>Paris</strong>, Circé/poche, 1996, p. 15.<br />

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