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Les bamakois diplômés de Paris

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Cela dit, ces <strong>de</strong>rniers ont été, au moins pendant <strong>de</strong>ux décennies (60-70), l’ethnie<br />

majoritaire à <strong>Paris</strong>. Par leur nombre, ils ont imposé un certain mo<strong>de</strong> d’habitation et<br />

ont pris place dans certains secteurs du travail (surtout ouvriers). Or, selon mes<br />

interlocuteurs <strong>bamakois</strong>, ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> présence est perçu <strong>de</strong> l’extérieur comme étant<br />

celui <strong>de</strong> tous les Africains installés à <strong>Paris</strong>. Cela explique en partie pourquoi plusieurs<br />

enquêtés déconsidèrent l’immigration soninké. À leurs yeux, le milieu du travail<br />

réagit en fonction <strong>de</strong>s particularités – réelles ou supposées - d’une population<br />

d’Afrique subsaharienne supposée uniforme. La représentation collective <strong>de</strong> l’Africain<br />

- construite entres autres sur le modèle Soninké <strong>de</strong>s années 60 1 - engendre une<br />

certaine défiance <strong>de</strong> la société d’immigration à l’égard du niveau <strong>de</strong> qualification <strong>de</strong>s<br />

personnes désignées par cet ethnonyme. Gaston Kelman, écrivain d’origine<br />

camerounaise, nous fournit un exemple tiré <strong>de</strong> sa propre expérience migratoire :<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

« Je suis allé un jour faire les formalités administratives à la sortie <strong>de</strong> mon<br />

fils qui avait été hospitalisé pour je ne sais plus quelle maladie infantile. La<br />

dame préposée au recueil <strong>de</strong>s informations a relevé mon i<strong>de</strong>ntité, puis elle<br />

m’a <strong>de</strong>mandé ma profession. Je lui ai dit que j’étais urbaniste. Elle ignorait ce<br />

qu’était un urbaniste. […] Je prends tout le temps qu’il faut pour lui expliquer<br />

que “ j’étais cadre, directeur <strong>de</strong> l’observatoire urbain“. La dame a pianoté sur<br />

le clavier <strong>de</strong> son ordinateur, à tiré une fiche, l’a lue et me l’a tendue. J’ai alors<br />

découvert que j’étais ouvrier spécialisé. 2 »<br />

On ne peut pas douter que les représentations ethniques jouent un rôle<br />

déterminant dans la distribution <strong>de</strong>s positions socioprofessionnelles <strong>de</strong>s Africains à<br />

<strong>Paris</strong>. Un exemple célèbre est celui <strong>de</strong> la hiérarchisation <strong>de</strong>s statuts <strong>de</strong> travail dans<br />

l’usine Citroën <strong>de</strong> la Porte <strong>de</strong> Choisy décrit par Robert Linhart dans son ouvrage<br />

L’Établi paru en 1978 :<br />

« Je m'étonne. [Mouloud] n'est que manœuvre Ce n'est quand même pas si<br />

facile, la soudure à l'étain. Et moi qui ne sais rien faire, on m'a embauché<br />

1 Deux remarques s’imposent. Premièrement, il est étonnant <strong>de</strong> constater que l’ethnonyme “Africain“ –<br />

dans le sens commun - désigne généralement les populations d’Afrique subsaharienne excluant <strong>de</strong><br />

cette catégorie sociale les populations nord africaines ; ces <strong>de</strong>rnières étant davantage désignées par<br />

leurs nationalités. Cela se confirme lorsqu’on regar<strong>de</strong> les productions statistiques <strong>de</strong> l’INSEE sur la<br />

répartition <strong>de</strong> la population immigrante selon les nationalités : alors que les nationalités algérienne,<br />

tunisienne ou marocaine sont représentées, les nationalités <strong>de</strong>s pays d’Afrique subsaharienne sont<br />

généralement regroupées sous l’appellation « autres pays d’Afrique ». Deuxièmement,<br />

l’essentialisation dont fait l’objet l’immigration d’Afrique subsaharienne ne relève pas uniquement <strong>de</strong><br />

l’immigration soninké. <strong>Les</strong> sources du préjugé africain sont bien plus nombreuses et tournent<br />

essentiellement autour <strong>de</strong> la couleur <strong>de</strong> la peau. Le temps qui m’est imparti pour terminer ce travail ne<br />

me permet d’approfondir ce point pourtant essentiel. Néanmoins, je gar<strong>de</strong> la volonté ferme d’abor<strong>de</strong>r<br />

la question <strong>de</strong> la couleur <strong>de</strong> la peau dans mes travaux ultérieurs.<br />

2 Gaston Kelman, Je suis noir et je n’aime pas le manioc, <strong>Paris</strong>, Max Milo, 2003, p. 79.<br />

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