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Les bamakois diplômés de Paris

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là que d’être en Afrique parce qu’il y a <strong>de</strong> l’argent. Mais surtout, il y a du<br />

travail, pas comme en Afrique.» Yaya.<br />

« Mais en France ou en Europe, il y a le minimum ! Je veux dire, on sait que<br />

vous avez <strong>de</strong>s structures qui ai<strong>de</strong>nt les gens. Vous avez la sécurité sociale, ça<br />

c’est une chose, et <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux, vous avez comment ça s’appelle… L’ANPE. On<br />

sait ça, on sait qu’en France là-bas, si on veut travailler on peut. Donc tu<br />

vois, en France, il y a le minium, chez nous, ce minimum, il n’existe pas. »<br />

Ilo.<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Ce « minimum » est mieux que ce « rien ». Ce minimum attire. Ces <strong>de</strong>ux<br />

extraits d’entretien rappellent une fois <strong>de</strong> plus la situation structurelle <strong>de</strong>s enquêtés à<br />

Bamako, une situation <strong>de</strong> déclassement. Issus <strong>de</strong> la petite bourgeoisie citadine, leurs<br />

diplômes - censés garantir leur maintien dans la hiérarchie <strong>de</strong>s positions sociales<br />

maliennes - sont brutalement dévalués. Sans emplois ou sous employés, mes<br />

interlocuteurs se trouvent dans une situation <strong>de</strong> dépendance familiale qui avait déjà<br />

été allongée par les étu<strong>de</strong>s supérieures. Le déclassement professionnel engendre un<br />

déclassement familial avec l’impossibilité objective d’accé<strong>de</strong>r aux fonctions d’adulte.<br />

Bref, les chemins constitutifs d’une existence « normale » sont impraticables.<br />

L’image <strong>de</strong> la société française ne se construit pas en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ces éléments qui<br />

font l’expérience sociale <strong>de</strong> mes interlocuteurs au Mali. Autrement dit, ils se font une<br />

certaine idée <strong>de</strong> la France (riche et offreuse d’emploi), mais une idée qui s’appuie sur<br />

la réalité <strong>de</strong> leur condition sociale à Bamako. Cette France, dans ce qu’elle représente<br />

pour eux, produit une remise en question <strong>de</strong> leur présent, <strong>de</strong> leur propre société :<br />

« Parce qu’en Afrique, la vie communautaire c’est une vie dont tu as déjà<br />

l’habitu<strong>de</strong>. La France, c’est pas une vie communautaire comme en Afrique,<br />

c’est une vie où tu dois te débrouiller tout seul. C’est cette découverte que<br />

j’ai voulu faire. » Yaya.<br />

Ce qui caractérise le projet migratoire <strong>de</strong>s enquêtés, c’est « une revendication <strong>de</strong><br />

rupture », une rupture avec ce que Yaya nomme la « vie communautaire africaine ».<br />

Le projet d’immigration en France ouvre donc une brèche dans l’épaisseur <strong>de</strong> la<br />

réalité malienne. Il représente « la dissolution <strong>de</strong>s obstacles 1 ».<br />

En un sens, l’idéal d’indépendance poursuivi par mes interlocuteurs est un idéal<br />

libéral, c'est-à-dire favorable aux libertés individuelles. N’est-ce pas là, d’ailleurs,<br />

1 Paul Ricoeur, L’idéologie et l’utopie, <strong>Paris</strong>, Seuil, 1997, p. 390.<br />

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