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Les bamakois diplômés de Paris

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« Au Mali, j’étais l’un <strong>de</strong>s seuls à avoir une chambre, […] j’étais comme un<br />

roi, c’était le luxe. […] D’ailleurs, c’est chez moi que les potes venaient. Pour<br />

ça, c’était le luxe. Tu te rends compte, j’avais même ma voiture. C’est pas<br />

donné à tout le mon<strong>de</strong> d’avoir une voiture comme ça à 20 ans. Il y a plein <strong>de</strong><br />

gens qui auraient aimé avoir une belle voiture. Moi, j’en avais une, et pas<br />

n’importe laquelle.» Jules.<br />

La migration <strong>de</strong>s enquêtés ne se caractérise pas seulement par un changement<br />

<strong>de</strong>s conditions matérielles d’existence. Elle est aussi marquée par un affaiblissement<br />

<strong>de</strong> relations sociales stables, durables et quotidiennes :<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

« Du jour au len<strong>de</strong>main, j’ai été livré à moi-même. Ça, c’est une très gran<strong>de</strong><br />

différence avec le Mali. […] Le stress, le mot “stress”, je l’ai entendu en<br />

France. C’était la première fois que je l’entendais. Je l’ai vu en France, je l’ai<br />

entendu en France, je n’avais jamais entendu parler <strong>de</strong> ça. Je suis venu en<br />

France, les gens, ils se tuent, ils se tuent ! Avec le métro, avec le transport,<br />

mais c’est très très rare en Afrique. Tu vois une personne qui se suici<strong>de</strong>, ça,<br />

ça n’existe pas en Afrique, les Africains, ils ne connaissent pas ça. Parce que<br />

tu n’es jamais seul.» Ladji.<br />

Emile Durkheim définit l’intégration d’une « société » (ce terme inclut les<br />

groupes particuliers) par « le nombre <strong>de</strong>s interactions entre les individus et le partage<br />

<strong>de</strong> valeurs communes 1 ». Il écrit : « Le lien qui attache [les individus] à leur cause<br />

commune les rattache à la vie et, d’ailleurs, le but élevé sur lequel ils ont les yeux fixés<br />

les empêche <strong>de</strong> sentir aussi vivement les contrariétés privées. Enfin, dans une société<br />

cohérente et vivace, il y a <strong>de</strong> tous à chacun et <strong>de</strong> chacun à tous un continuel échange<br />

d’idées et <strong>de</strong> sentiments et comme une mutuelle assistance morale, qui fait que<br />

l’individu, au lieu d’être réduit à ses seules forces, participe à l’énergie collective et<br />

vient y réconforter la sienne quand elle est à bout 2 ».<br />

Le groupe auquel l’individu est attaché offre un cadre normatif qui maintient ses<br />

membres sous sa dépendance. Il les protège également contre une « individuation<br />

exagérée 3 ». Or, ce dont témoignent mes interlocuteurs, c’est bien d’un déficit<br />

relationnel, du risque d’anomie que présente leur situation.<br />

« Quand je pousse la porte <strong>de</strong> chez moi, que j'allume la lumière et que je ne<br />

vois personne, personne à qui parler, personne qui me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment<br />

1 Dominique Schnapper, Qu’est-ce que l’intégration , <strong>Paris</strong>, Gallimard, Folio actuel, 2007, p.32.<br />

2 Émile Durkheim, Le suici<strong>de</strong>, <strong>Paris</strong>, PUF, Quadrige, [1897], 1990, p. 224.<br />

3 Ibid., p.230.<br />

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