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Les bamakois diplômés de Paris

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B. La norme <strong>de</strong> l’autonomie rési<strong>de</strong>ntielle<br />

Lorsque les enquêtés étaient à Bamako, les membres <strong>de</strong> leur famille installés en<br />

France étaient perçus comme <strong>de</strong>s intermédiaires efficaces facilitant leur intégration<br />

dans la société française. Cette représentation est redoublée par l’obligation<br />

d’assistance dont sont censés faire preuve les accueillants. Mais à travers l’exemple <strong>de</strong><br />

Moussa, on a pu observer un certain retrait du groupe d’accueil à l’égard du nouvel<br />

arrivant. Ce fût également le cas d’Ibrahim. Pour lui, le désengagement <strong>de</strong>s<br />

accueillants était simplement inconcevable :<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

« C’est mon petit frère Samba qui est allé me chercher à l’aéroport. Je<br />

savais qu’il avait une chambre à l’internat, au Crous à Cachan […]. C’est <strong>de</strong>s<br />

petites chambres d’étudiant <strong>de</strong> 10 m². C’est fait que pour un seul étudiant et<br />

puis il y a les inspections et tout ça. Mais ça, je ne savais pas ! Donc moi,<br />

avec mes béquilles, j’étais dans la chambre, il fallait que je sorte, je ne<br />

pouvais pas rester. […] Ça ne m’est jamais venu en tête que mon frère me<br />

mette à la porte ou bien que ma sœur me dise :“non,non,non, débrouille-toi“.<br />

Non, mais c’est pas possible ! Au Mali, ça n’existe pas ! Toi, tu vas au Mali,<br />

tu atterris dans n’importe quelle famille, même la famille la plus pauvre au<br />

Mali, tu dis que tu as faim, on te fait asseoir, on te prépare quelque chose, on<br />

te le donne et tu manges. […] C’est comme si tu coupais les liens du sang.<br />

Pour moi, cette réalité là, ça été une gifle ! Mais ici, je vois que c’est quelque<br />

chose <strong>de</strong> très simple. Ici, on peut mettre les enfants à la porte à l’âge <strong>de</strong> 18,<br />

19 ans. Même, au Mali, jamais tu ne verras une maison <strong>de</strong> retraite, jamais<br />

tu ne verras un Malien mettre son père où sa mère là-bas, alors qu’ici…»<br />

Ibrahim.<br />

À Bamako, l’image commune <strong>de</strong> la maison familiale est celle d’un espace <strong>de</strong> vie<br />

partagé par les différentes générations, <strong>de</strong>s petits enfants aux grands parents. Or, dès<br />

son arrivée en France, Ibrahim est frappé par ce qu’Olivier Rey nomme<br />

« l’insularisation <strong>de</strong>s générations » 1 , c'est-à-dire la coupure générationnelle qui<br />

sépare les individus selon les classes d’âges. L’autonomie rési<strong>de</strong>ntielle - qui est la<br />

norme en France 2 - est bien ce que découvre cet interlocuteur lorsque son frère et sa<br />

sœur refusent <strong>de</strong> l’héberger : « c’est comme si tu coupais les liens du sang […]. Mais<br />

ici, je vois que c’est quelque chose <strong>de</strong> très simple». Cette séparation spatiale <strong>de</strong>s<br />

1 Olivier Rey, Une folle solitu<strong>de</strong>, Le fantasme <strong>de</strong> l’homme auto-construit, <strong>Paris</strong>, Seuil, 2006.<br />

2 Voir à ce propos Catherine Bonvalet, Denise Arbonville, « Autonomie rési<strong>de</strong>ntielle et maintien <strong>de</strong>s<br />

liens familiaux », Problèmes politiques et sociaux, nos 962-963, La Documentation Française, Août<br />

2009, p. 131.<br />

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