20.01.2015 Views

Les bamakois diplômés de Paris

Les bamakois diplômés de Paris

Les bamakois diplômés de Paris

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Après avoir positionné une chaise <strong>de</strong>vant le tableau, Djigui sort <strong>de</strong> sa<br />

sacoche ce qu’il appelle le « fouet » (il s’agit en réalité d’une courroie <strong>de</strong><br />

moteur <strong>de</strong> voiture). Dix, c’est le nombre <strong>de</strong> coups que vont recevoir les élèves<br />

ayant obtenu une moyenne inférieure à cinq. « C’est <strong>de</strong> l’humiliation » me<br />

dis-je intérieurement. Quinze élèves doivent subir la punition. Au quatrième,<br />

je quitte la classe et allume une cigarette.<br />

Après les cours, Djigui, un collègue et moi-même prenons le thé <strong>de</strong>vant<br />

mon domicile. Je ne peux m’empêcher <strong>de</strong> revenir sur ce qu’il s’est passé en<br />

classe. Ma morale a été mise à mal. Djigui prend le premier la parole :<br />

- <strong>Les</strong> enfants, il faut les châtier et les rendre jaloux entre eux.<br />

Et son collègue ajoute :<br />

- C’est <strong>de</strong>s ânes, il faut les battre pour qu’ils prennent la bonne<br />

route.<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

La remise <strong>de</strong>s bulletins <strong>de</strong> note et la nouvelle distribution <strong>de</strong>s places assises qui<br />

en découlent ont une fonction claire : celle <strong>de</strong> distinguer les « bons » <strong>de</strong>s « mauvais »<br />

élèves. <strong>Les</strong> trois rangées formées par Djigui ren<strong>de</strong>nt visible, aux yeux <strong>de</strong> tous, cette<br />

répartition classificatoire. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>rniers sont punis et placés sur le banc <strong>de</strong>s<br />

« ignorants », les premiers sont exemptés du châtiment et placés sur le banc <strong>de</strong>s<br />

« sachants ». <strong>Les</strong> compétences <strong>de</strong> chacun sont évaluées puis soumises au regard <strong>de</strong> la<br />

classe. Et ce regard est hiérarchique puisque les élèves sont échelonnés en fonction <strong>de</strong><br />

leurs résultats scolaires. Ainsi s’installe un jeu perpétuel <strong>de</strong> comparaison <strong>de</strong> chacun<br />

avec tous :<br />

« Mais ça, c’est l’École même qui veut ça. Mais ce n’est pas seulement l’école<br />

élémentaire hein ! Je me souviens, j’étais en secon<strong>de</strong>, le maître, il rendait les<br />

rédactions. Et tous ceux qui avaient les mauvaises notes, ils prenaient leur<br />

rédaction, se levaient, et <strong>de</strong>vaient la lire à haute voix <strong>de</strong>vant toute la classe,<br />

sa copie. Ah non, je te jure, c’était la honte même […]. Je me souviens aussi<br />

d’une fille, parce que le maître avait un fouet… Ah ça, on avait tous peur du<br />

fouet… La fille elle était venue à l’école et, tu vois, elle savait qu’elle allait<br />

être tapée… Elle avait mit <strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong> cartons sous son pantalon. Je te jure,<br />

quand le maître il a tapé, ça a fait « pow » ! Du carton [rires] ! » Mamadou.<br />

« La discipline “ fabrique“ <strong>de</strong>s individus : elle est la technique spécifique d’un<br />

pouvoir qui se donne les individus à la fois pour objet et pour instrument <strong>de</strong> son<br />

exercice 1 ». On se mesure les uns par rapport aux autres, on se construit par rapport à<br />

une norme, celle du bon élève. Et le bon élève est celui qui, dans l’observation et<br />

1 Op.cit., Foucault, 1975, p. 200.<br />

143

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!