20.01.2015 Views

Les bamakois diplômés de Paris

Les bamakois diplômés de Paris

Les bamakois diplômés de Paris

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

mois, à Bamako. De ce séjour, il reviendra les poches vi<strong>de</strong>s : « j’avais à peine <strong>de</strong> quoi<br />

payer mon loyer » 1 . Face à l’urgence <strong>de</strong> la situation, il accepte un travail « au noir »<br />

comme « ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> costume ».<br />

« J’ai jamais été aussi mal traité, la nana me parlait comme à un chien ! On<br />

était <strong>de</strong>ux à travailler au black comme ça. Le mec qui était avec moi, il avait<br />

pas <strong>de</strong> papiers du tout, il n’avait pas le droit <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>r en France. Je sais<br />

pas mais pour certains patrons, c’est comme si ça leur donnait tous les<br />

droits. Parce que quand t’as pas <strong>de</strong> papiers, t’as la trouille. Moi, j’étais<br />

quand même en règle… Enfin, je ne risquais pas l’expulsion. […] J’ai du faire<br />

<strong>de</strong>ux mois là-bas. De toute façon, j’étais mal payé.»<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Mamadou décrit une situation <strong>de</strong> travail qui m’a été rapportée par différents<br />

enquêtés, une situation où certains patrons n’hésitent pas à profiter <strong>de</strong> la position<br />

illégale <strong>de</strong>s « sans-papiers » pour les exploiter : sous rémunération, journée <strong>de</strong> travail<br />

allongées, activités insalubres, non respect <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> sécurité, etc. Toujours<br />

d’après certains <strong>de</strong> mes interlocuteurs, cette main-d’œuvre « bon marché » est bien<br />

souvent contrainte « au silence ». La faiblesse <strong>de</strong>s revendications <strong>de</strong>s « irréguliers »<br />

s’explique en partie par la crainte <strong>de</strong> perdre leurs emplois mais aussi, et peut être<br />

avant tout, par la peur d’être expulsés du pays 2 .<br />

Bref, la première moitié <strong>de</strong> l’année 2006 fût marquée par <strong>de</strong>ux expériences du<br />

travail insatisfaisantes pour Mamadou. En août, toujours par le biais <strong>de</strong> son réseau <strong>de</strong><br />

1 <strong>Les</strong> retours au pays sont souvent perçus comme un « retour aux sources » par les enquêtés. Ils<br />

retrouvent leurs familles et leurs amis ainsi que certains lieux familiers dans lesquels ils ont passé<br />

leurs enfances et leurs adolescences. On réinvestit aussi <strong>de</strong>s pratiques d’avant la migration comme<br />

celle du thé <strong>de</strong>vant chez soi ou encore les sorties au bar ou en discothèque. Mais ces retours sont<br />

également <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s ou l’on doit montrer aux autres, et à ses proches en particulier, que la<br />

migration a un sens. Pour plusieurs <strong>de</strong> mes interlocuteurs - et comme j’ai pu l’observer lors <strong>de</strong> mon<br />

séjour à Bamako - cela passe, entre autres, par une mise en scène <strong>de</strong> la réussite en France. Et les dons<br />

d’argent et <strong>de</strong> biens matériels en sont les signes les plus visibles.<br />

2 Daouda témoigne en ce sens lorsqu’il effectuait une mission intérimaire pour la SNCF en 2005. Sa<br />

fonction était alors <strong>de</strong> nettoyer les trains : « Franchement, nous on est là en train <strong>de</strong> frotter… Et tous<br />

les potes que j’ai, qui ont au moins 5, 6 ans <strong>de</strong> boulot là-bas, ils ont les yeux rouges. Parce qu’ils n’ont<br />

pas <strong>de</strong> lunettes <strong>de</strong> protection, pas <strong>de</strong> masques… On se dit peut être c’est parce que c’est <strong>de</strong>s immigrés<br />

alors on s’en fout. Pas <strong>de</strong> protections pour nous, c’est comme ça. […] Moi, je me suis révolté pour ça.<br />

Je leur ai dit : “ moi, je ne bosse pas si on me donne pas les conditions <strong>de</strong> travail “. [Il me montre ses<br />

mains ravagées par le froid et l’eau glacée]. Pareil, on n’avait pas <strong>de</strong> gilets pour que l’on puisse nous<br />

voir dans la nuit … parce qu’on travaille dans le noir. À tout moment il peut y avoir <strong>de</strong>s trains qui<br />

passent alors ils pourraient nous donner <strong>de</strong>s combinaisons <strong>de</strong> signalisation. Chaque fois, on ne nous<br />

les donnait pas, on nous les vendait ! […] Sur mon contrat <strong>de</strong> travail, déjà, moi je vois : “ Chaussures<br />

<strong>de</strong> sécurité fournies“. On nous a jamais fourni <strong>de</strong> chaussures <strong>de</strong> sécurité… Mais comme il y a plein <strong>de</strong><br />

gens qui travaillent là-bas et qui bossent sans papiers. Alors eux, ils peuvent pas causer, ils ne<br />

peuvent pas du tout causer. Alors moi, j’entendais <strong>de</strong>rrière mon dos : “ouais comme il est en règle,<br />

alors c’est pour ça qu’il se permet <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s trucs comme ça, <strong>de</strong> se plaindre aux patrons“.»<br />

310

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!