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Les bamakois diplômés de Paris

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territoriale, qui est aussi son inscription familiale et sociale, se trouve en défaut pour<br />

reproduire son existence et sa protection 1 ».<br />

1.2 Pério<strong>de</strong>s d’isolement précaires<br />

« Ça a été très dur, et j’ai eu du mal à m’en sortir même <strong>de</strong> cette réalité.<br />

Mon frère avait une chambre d’étudiant au Crous à Cachan. Mais il y a<br />

avait <strong>de</strong>s surveillants, je ne voulais pas lui créer <strong>de</strong> problèmes. Parce que je<br />

me souviens que j’ai passé plus d’un mois à dormir dans les toilettes là-bas.<br />

Plus d’un mois à dormir le soir dans les toilettes. En fait, franchement, je<br />

rentrais dans les toilettes, j’essuyais avec le papier le lavabo. Puis, avec mes<br />

béquilles 2 , je condamnais la porte et je faisais comme ça… Je dormais<br />

jusqu’à six heures du matin. J’ai fait ça pendant un mois, pendant un<br />

mois ! » Ibrahim.<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

« Pendant ce temps là, moi, je n’avais rien. Tu connais “rien“ “Rien“, même<br />

pas un centime. Avec ma tante qui m’a donné une carte orange pour que je<br />

puisse aller au boulot. Imagine une personne <strong>de</strong> 22 ans qui sort le matin<br />

avec qu’une carte orange pour aller au boulot et rentrer à 18 heures chez lui.<br />

Je sais pas comment une personne peut faire ça. Sortir <strong>de</strong> chez toi à 7 heures<br />

du matin, tu commences à 8 heures et tu rentres chez toi, pas <strong>de</strong> détours,<br />

avec même pas un franc sur toi. Eh bien moi je l’ai vécu. Toute la journée je<br />

faisais que boire, je ne mangeais pas, et les cigarettes que tu vois là, je les<br />

ramassais par terre pour fumer, ou alors je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux gens. […] Je me<br />

sentais comme un étranger, je me sentais culpabilisé, je me sentais<br />

minimisé. Ça, c’était ma vie avant, au début quand je suis venu, les premiers<br />

six mois.» Ladji.<br />

« J’habitais, en quelques sortes, <strong>de</strong>hors… Un peu partout, il m’est même<br />

arrivé <strong>de</strong> dormir dans les cafés, dans les bars, les pubs […]. Imagine, je<br />

bossais 7 jours sur 7, je restais <strong>de</strong>bout 12 heures avec une pause <strong>de</strong> trente<br />

minutes. Donc, je commençais à 8 heures du matin jusqu’à 22 heures. Là,<br />

j’étais vigile. Et tu restais <strong>de</strong>bout toute la journée. Jusqu’à présent j’ai les<br />

ampoules. Il m’arrivait souvent <strong>de</strong> passer la nuit dans les cabines<br />

téléphoniques, à Montparnasse, même quand j’y repense, il m’est arrivé <strong>de</strong><br />

dormir à la gare du Nord, dans les stations et tout où tu as les clochards. Ça,<br />

c’est parce que je travaillais pas loin <strong>de</strong> la gare du Nord, alors ça me<br />

permettait <strong>de</strong> me reposer là-bas. Je dormais sur les petits sièges là. Je me<br />

levais, j’allais bosser. Arriver toujours à l’heure là où on faisait <strong>de</strong>s<br />

1 Robert Castel, <strong>Les</strong> métamorphoses <strong>de</strong> la question sociale. Une Chronique du Salariat, <strong>Paris</strong>,<br />

Gallimard, Folio, 1995, 2007, p. 52.<br />

2 Je rappelle qu’Ibrahim souffre d’hémophilie touchant les articulations, ici celles du genou. Accé<strong>de</strong>r<br />

aux soins en France est une <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> son émigration : « parce qu’au Mali, dans ce genre <strong>de</strong><br />

traitement, on est beaucoup moins doué qu’en Europe ». Ainsi Ibrahim s’est-il déplacé avec <strong>de</strong>s<br />

béquilles durant les <strong>de</strong>ux premiers mois <strong>de</strong> son immigration à <strong>Paris</strong>.<br />

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