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Les bamakois diplômés de Paris

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tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Mali. Lorsque, pour une raison ou pour une autre, un frère ne peut pas s’acquitter <strong>de</strong><br />

sa <strong>de</strong>tte, la part manquante est prise en charge par les autres membres <strong>de</strong> la fratrie.<br />

En admettant que, pour maintenir la condition économique <strong>de</strong> sa famille à<br />

Bamako, il faut envoyer une somme d’argent équivalente au revenu <strong>de</strong> son père, alors<br />

on peut considérer que les frères D. honorent le contrat intergénérationnel1. En effet,<br />

la somme <strong>de</strong> 328 000 FCFA, près <strong>de</strong> dix fois le SMIG malien, se place dans la<br />

fourchette <strong>de</strong>s revenus du travail parmi les plus élevés du Mali : ceux qui<br />

correspon<strong>de</strong>nt aux métiers <strong>de</strong> la Fonction publique et aux professions libérales<br />

exercés par les pères <strong>de</strong>s Bamakois diplômés rencontrés à <strong>Paris</strong> (salaires estimés<br />

entre 166 144 FCFA et 701 186 FCFA).<br />

Prenons maintenant un exemple opposé aux frères D. : celui <strong>de</strong> Zoumana. Cet<br />

enquêté fait partie <strong>de</strong> ceux qui assument seuls le poids <strong>de</strong> la <strong>de</strong>tte. Pour lui, la<br />

contrainte <strong>de</strong>s transferts financiers a <strong>de</strong>s répercussions considérables sur sa situation<br />

d’immigration. Cette contrainte est d’autant plus forte qu’il subit régulièrement les<br />

pressions <strong>de</strong> ses parents et <strong>de</strong> sa femme résidant au Mali :<br />

« Mon père, chaque fois il me téléphone : “ il faut envoyer, il faut envoyer “.<br />

Des fois j’envoie 200 €, 300 €, ça dépend <strong>de</strong> mes rentrées d’argent. Des fois<br />

j’envoie moins. […] Si toi tu dis que “non“, on va dire <strong>de</strong> toi que tu es<br />

“ fainéant“. […]. Ça, c’est la pire chose qui peut arriver à un Malien, c’est<br />

d’être coupé <strong>de</strong> sa famille. […] Tous les mois, ma femme m’appelle <strong>de</strong><br />

Bamako. Elle me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> 100 € […]. Hier, elle m’a appelé : “ tu ne bosses<br />

pas “. J’ai dit “ non “. Et là, elle me fait culpabiliser. Si je suis là et que je ne<br />

bosse pas, pour eux, ce n’est pas normal […]. Bon actuellement, je ne trouve<br />

pas <strong>de</strong> travail. Des fois, je vais dans un endroit, j’ai<strong>de</strong> à décharger <strong>de</strong>s sacs<br />

<strong>de</strong> riz et ils me donnent 23 € pour trois heures <strong>de</strong> travail. C’est dur <strong>de</strong> se<br />

trimbaler avec 20 kilos <strong>de</strong> sac. J’ai mal au dos. Si tu t’arrêtes, eux, ils<br />

appellent quelqu’un d’autre et c’est fini. Mais tu te rends comptes, 23€ ! Tu<br />

fais comment avec ça Toi qui mange 10€, 15€ la journée… Tu prends un<br />

café à 90 centimes, un ticket <strong>de</strong> métro à 1€30, tu manges au foyer pour<br />

1€50…. Bon à la fin du mois, tu as à peine <strong>de</strong> quoi payer pour toi-même et<br />

au bled tu dois envoyer <strong>de</strong> l‘argent. Des fois je n’y arrive pas, je n’y arrive<br />

pas ! Finalement, tu vis fauché.» Zoumana.<br />

Malgré une situation d’emploi particulièrement dure, l’obligation <strong>de</strong> solidarité<br />

n’est pas mise en cause par mon interlocuteur. Au contraire, la crainte d’ « être coupé<br />

1 Cette hypothèse que la <strong>de</strong>tte s’élève à hauteur du revenu du père fait écho à une phrase souvent<br />

prononcée par les enquêtés : « faire mieux que son père ».<br />

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