20.01.2015 Views

Les bamakois diplômés de Paris

Les bamakois diplômés de Paris

Les bamakois diplômés de Paris

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

L’impossibilité <strong>de</strong> maîtriser son expérience migratoire provoque un fort<br />

sentiment d’impuissance, l’impression que, quoi que l’on fasse, « on en verra jamais<br />

le bout » (Zoumana). Ainsi certains interlocuteurs sont-ils conduits à concevoir la<br />

société française comme un ensemble <strong>de</strong> forces extérieures à eux, extérieures à leurs<br />

intentions et à leurs interactions 1 :<br />

« Franchement, qu’est-ce que tu peux faire face à une nation Qu’est ce que<br />

je peux faire face à la France Tu sais, j’ai dormi dans la rue, j’ai pris un<br />

coup <strong>de</strong> couteau et je ne pouvais même pas aller à l’hôpital. C’est comme ça,<br />

tu ne peux rien changer du tout.» Jules.<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Ne pouvant pas se défendre contre <strong>de</strong>s pressions trop fortes, la plupart <strong>de</strong>s<br />

enquêtés ont été en proie au découragement, à la « démoralisation » pour reprendre<br />

le terme <strong>de</strong> William Isaac Thomas et Florian Witold Znaniecki 2 . En même temps<br />

qu’ils découvrent le mon<strong>de</strong> social français, ils prennent brutalement conscience <strong>de</strong><br />

l’ampleur <strong>de</strong> leur entreprise migratoire. Et c’est d’abord l’histoire d’un mythe qui<br />

s’effondre.<br />

« Mais je ne pouvais pas me mettre en tête que le France était comme ça.<br />

J’avais l’impression d’être partagé en morceau : une partie <strong>de</strong> moi voulait<br />

rester ici, l’autre voulait retrouver le Mali [Silence]. Le manque <strong>de</strong> ma<br />

famille, ça ne sera jamais comblé en fait... Mais je sais que mon avenir est<br />

ici, alors… » Gaoussou.<br />

« Je me suis <strong>de</strong>mandé ce que je foutais là. J’ai voulu tout <strong>de</strong> suite faire mes<br />

bagages et rentrer, je les ai faits d’ailleurs… Mais bon, je suis là. En fait, je<br />

suis déçu, je m’attendais, je ne sais pas moi, à réussir ma vie ici en France.<br />

Et au lieu <strong>de</strong> ça, je galère. Tu crois vraiment que je voulais une vie comme<br />

ça » Ousamane.<br />

Le désenchantement signifie la cessation du charme, la dissipation <strong>de</strong>s illusions<br />

et, par extension, la déception qui en résulte. Gaoussou et Ousmane évoquent la<br />

nostalgie du pays d’origine, le manque <strong>de</strong>s proches restés à Bamako et le désir <strong>de</strong><br />

1 François Dubet, Le travail <strong>de</strong>s sociétés, <strong>Paris</strong>, Seuil, 2009, p.209.<br />

2 Selon Suzie Guth, les <strong>de</strong>ux auteurs définissent le « démoralisation » « comme étant l’accroissement<br />

d’une manière progressive et continue <strong>de</strong> l’incapacité d’organiser sa vie en fonction <strong>de</strong> la réalisation <strong>de</strong><br />

ses intérêts fondamentaux ». Suzie Guth (sous la dir.), Mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong> Robert Ezra Park, <strong>Les</strong> concepts<br />

<strong>de</strong> l’École <strong>de</strong> Chicago L’Harmattan, Logiques sociales, 2008, p. 248, se référant à William Isaac<br />

Thomas et Florian Witold Znaniecki, Fondation <strong>de</strong> la Sociologie Américaine, Morceaux choisis, <strong>Paris</strong>,<br />

L’Harmattan, Logiques sociales, 2000, p.210.<br />

245

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!