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Les bamakois diplômés de Paris

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3.2 Trois indicateurs <strong>de</strong> déclassement<br />

Parmi les enquêtés dont les aspirations sociales et économiques ont été déçues<br />

au cours <strong>de</strong> leur immigration, ceux pour lesquels le déclassement est considéré<br />

comme une réalité palpable et durable, <strong>de</strong>ux attitu<strong>de</strong>s ont été observées : celle qui<br />

consiste à faire le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> sa condition sociale originelle (la résignation) et celle qui<br />

consiste à lutter pour le reclassement (la résistance). Ces <strong>de</strong>ux attitu<strong>de</strong>s ont été<br />

rendues saillantes à travers l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s itinéraires professionnels <strong>de</strong> Mamadou et<br />

d’Ibrahim décris au début <strong>de</strong> ce chapitre. Ici, je voudrais m’arrêter sur les différents<br />

éléments qui constituent, pour mes interlocuteurs, une rupture entre les conditions<br />

<strong>de</strong> vie d’avant la migration et celles qui sont les leurs à <strong>Paris</strong>.<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

A. Le diplôme : un double coup d’arrêt<br />

« Tu as fait les étu<strong>de</strong>s, tu as les diplômes mais tu n’as pas eu le boulot que tu<br />

voulais Il faut changer. Attends, même les Français galèrent ! À ce<br />

moment, va travailler à la sueur <strong>de</strong> ton front, avec ta force… Quelqu’en soit<br />

le salaire, quelqu’en soit le travail, parce qu’il ne te reste plus que ça…»<br />

Papus.<br />

« Mais je vais te dire une chose : si tu as un diplôme que tu as eu en Afrique<br />

et que tu es venu ici en France, ce diplôme-là, il faut le laisser chez toi. C’est<br />

vrai. Parce que le pays où tu es venu, il y en a <strong>de</strong>s diplômés. Eux-mêmes ils<br />

n’ont pas <strong>de</strong> places, <strong>de</strong>s diplômés français ! À ce moment là, il faut travailler<br />

avec tes mains, pas avec la tête… Même si tu gagnes peu.» Beïdi.<br />

Dans ces déclarations, Papus et Beïdi expriment bien cette idée d’un travail<br />

réflexif effectué pour accepter ce qui arrive et faire avec une situation <strong>de</strong><br />

déclassement professionnel qu’ils jugent irrémédiable, définitive. Papus, agent <strong>de</strong><br />

sécurité, déclare qu’« [Il] ne peu[t] pas faire grand-chose» et Beïdi,<br />

manutentionnaire, que « c’est comme ça », manifestant ainsi leur résignation et le<br />

regret <strong>de</strong> ne pas avoir rentabilisé leur diplôme en comptabilité.<br />

Mais pour expliquer leurs situations <strong>de</strong> travail en France, ces <strong>de</strong>ux enquêtés<br />

introduisent un nouvel élément : l’inflation du diplôme 1 . « Durant près <strong>de</strong> vingt-cinq<br />

1<br />

L’inflation du diplôme est définie par Jean-Clau<strong>de</strong> Passeron comme étant « l’effet <strong>de</strong> dévaluation<br />

produit par l’accroissement <strong>de</strong>s effectifs scolarisés sur la “valeur du diplôme“ » [Passeron, 1982, p.<br />

551]. À cet aspect a priori négatif <strong>de</strong> ce phénomène, l’auteur rappelle sa contrepartie positive, à savoir :<br />

l’ « extension <strong>de</strong> l'éducation et <strong>de</strong> la culture à une part croissante <strong>de</strong> la société, indépendamment <strong>de</strong>s<br />

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