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Les bamakois diplômés de Paris

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interlocuteur. C’est un <strong>de</strong> ses jeux favoris ! Nous convenons d’une partie –<br />

que nous ne ferons jamais – lors <strong>de</strong> ma prochaine visite.<br />

Ibrahim : « Tu n’as aucune chance contre moi ! Pense à prendre ton<br />

dictionnaire ! Parce que <strong>de</strong>s mots que les gens ne connaissent pas, j’en<br />

connais ! »<br />

J’entre dans son jeu :<br />

David : « Méfie-toi, moi aussi j’ai joué ! Combien <strong>de</strong> petits mots<br />

connais-tu <br />

Ibrahim : Cinquante !<br />

David : Pas mal ! Je ne gagnerai pas aussi facilement que prévu -<br />

[rires] 1 . »<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Pour Mamadou, l’écriture est un exercice plus laborieux :<br />

[<strong>Paris</strong>, le 12.01.09] Mamadou me rend visite afin que je puisse l’ai<strong>de</strong>r à<br />

rédiger une lettre. Il s’agissait d’obtenir sa « carte <strong>de</strong> séjour <strong>de</strong> 10 ans » (une<br />

démarche clé dans l’expérience <strong>de</strong> migration <strong>de</strong> mes interlocuteurs sur<br />

laquelle je reviendrai). Pour modèle, il me présente une lettre d’Ibrahim, celle<br />

qui a permis à son frère <strong>de</strong> franchir cette étape administrative. Je la lis et<br />

commente :<br />

- C’est bien écrit.<br />

Mamadou me répond :<br />

- Ah mais c’est Ibrahim. C’est l’intellectuel <strong>de</strong> la famille. Moi, je ne<br />

sais pas bien écrire, tu le sais.<br />

1 Dans les rues <strong>de</strong> Bamako, j’ai observé <strong>de</strong>s personnes pratiquer ce jeu <strong>de</strong> lettres dont la règle est<br />

l’orthographe. Si, comme je le pense, le français entre dans la culture légitime au Mali, alors le scrabble<br />

– comme les échecs en France - est lui aussi un jeu qui s’entoure d’une certaine légitimité sociale.<br />

Johan Huizinga avait titré son livre « Homo Lu<strong>de</strong>ns » (l’homme joue), paru en 1951, pour signifier que<br />

le jeu était une pratique universelle <strong>de</strong> l’Homme. Il serait tout à fait intéressant, à la manière <strong>de</strong> cet<br />

auteur, d’étudier les pratiques du jeu au Mali, leur histoire, leurs fonctions sociales. D’abord le « jeu <strong>de</strong><br />

société » est, comme son nom l’indique, une reproduction « miniature » <strong>de</strong> certains mécanismes<br />

sociaux : les joueurs sont soumis aux contraintes du jeu social comme ils sont soumis aux contraintes<br />

du jeu <strong>de</strong> société. On ne peut pas jouer n’importe comment, faire n’importe quoi. Pour que le jeu se<br />

fasse, il faut que les acteurs jouent (avec) la règle.<br />

Une secon<strong>de</strong> remarque doit être faite, sur la relation d’enquête cette fois-ci, sur la raison pour<br />

laquelle la partie <strong>de</strong> scrabble entre Ibrahim et moi ne s’est jamais faite. À l’évi<strong>de</strong>nce, le jeu implique un<br />

vainqueur et un perdant. Or, il s’agit ici <strong>de</strong> vaincre ou <strong>de</strong> perdre avec la langue française, dont Ibrahim<br />

sait parfaitement qu’elle est ma langue natale. Quelle que soit l’issue <strong>de</strong> la partie, on peut supposer que<br />

le résultat aura <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la violence symbolique. Car le scrabble met en compétition le<br />

capital linguistique <strong>de</strong>s acteurs. Le jeu l’impose.<br />

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