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Les bamakois diplômés de Paris

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s'est passée ma journée, simplement comment je vais… Eh bien je dois<br />

t'avouer que, <strong>de</strong>s fois, je me mets à pleurer.» Jules.<br />

Je l’ai dit, être sur les marges <strong>de</strong> la vie collective, c’est être dans une zone <strong>de</strong><br />

flottement, une zone dangereuse : « Quand tu es seul avec ta tête, tu peux tout te<br />

faire, tout ! » (Jules). « Kelenna yoro sigi man di » (« <strong>de</strong>meurer dans la solitu<strong>de</strong> n’est<br />

pas agréable »), dit-on au Mali. Cette solitu<strong>de</strong> involontaire exige une gestion <strong>de</strong> soi,<br />

<strong>de</strong> ses sentiments qui sont à la fois ambivalents et exacerbés par le changement<br />

d’univers social. C’est là un travail largement individuel, un travail « silencieux » qui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> beaucoup d’énergie et <strong>de</strong> temps :<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

« Dans ces moments là, je n’avais personne à qui parler. J’avais les gens du<br />

pays au téléphone… Mais t’as beau leur dire que c’est dur, ils ne te croient<br />

pas. […] Être immigré, j’avais l’impression que c’était comme une sorte <strong>de</strong><br />

maladie à gérer.» Ousmane.<br />

Il ne fait aucun doute que l’isolement menace l’intégrité physique et psychique.<br />

Dans <strong>de</strong> telles situations, « tout coûte ». Je veux dire par là que les gestes, parmi les<br />

plus banals, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> véritables efforts : manger (« j’avais perdu l’appétit »<br />

Ibrahim.), dormir (« j’avais du mal à trouver le sommeil » Daouda.), se lever (« Au<br />

réveil, pour me donner le courage, je me passais directement <strong>de</strong> l’eau sur le visage »<br />

Zoumana). Ces rythmes quotidiens, perturbés, sont les symptômes d’une vie sociale<br />

rétrécie, marquée par l’absence <strong>de</strong> cadres relationnels sécurisants.<br />

« La plus haute <strong>de</strong>s solitu<strong>de</strong>s » 1 incline également au repli sur soi et accentue le<br />

sentiment d’être « hors du mon<strong>de</strong> ». Sortir <strong>de</strong> chez soi, faire face à la multiplicité <strong>de</strong>s<br />

contacts occasionnés par la ville, ces mouvements vers l’extérieur ont bien souvent<br />

été une source d’anxiété pour mes interlocuteurs. « Prendre les transports en<br />

commun » est un exemple récurrent qu’ils ont invoqué pour exprimer cette « peur »<br />

du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s autres :<br />

« Avant, quand je suis arrivé à <strong>Paris</strong>, j’avais peur <strong>de</strong> quitter l’appartement.<br />

J’avais peur ! Je te jure… Tu vois, je me souviens,je rentrais dans le bus, je<br />

regardais tout le temps s’il y avait une peau noire et là je me sentais à l’aise<br />

parce que je ne suis pas seul, j’ai un confrère quoi. Parce que tu te sens<br />

étranger.» Ladji.<br />

1 Tahar Ben Jelloun, La plus haute <strong>de</strong>s solitu<strong>de</strong>s, <strong>Paris</strong>, Seuil, 1977.<br />

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