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Les bamakois diplômés de Paris

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« Je lui ai <strong>de</strong>mandé s’il n’avait pas besoin d’un coup <strong>de</strong>main. On a pas parlé<br />

salaire. Il m’a proposé <strong>de</strong>ux missions pour repeindre <strong>de</strong>s appartements à<br />

droite, à gauche. La première a duré <strong>de</strong>ux semaines, j’ai été payé 150 euros<br />

[…]. Un Africain qui exploite un autre Africain, je ne peux pas comprendre<br />

ça, mais c’est fréquent, c’est très fréquent même… Deuxième mission, j’ai été<br />

payé 200 euros pour trois semaines. Il n’a même pas été là, c’est moi qui ai<br />

fait tout le travail, même pas un merci, rien, alors que j’essayais <strong>de</strong> bien<br />

faire mon boulot… Après qu’est-ce que j’apprends Que lui il a pris 1000<br />

euros sur ça, franchement... J’en ai fait encore <strong>de</strong>ux ou trois missions<br />

comme ça mais il faut que je trouve autre chose.»<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Mamadou s’improvise peintre dans le secteur informel. Il évoque une situation<br />

d’exploitation par un « compatriote », une situation incompréhensible à ses yeux qui<br />

se caractérise par la sous-reconnaissance <strong>de</strong> son travail (« même pas un merci ») et<br />

un décalage important entre la rémunération perçue et la quantité <strong>de</strong> travail effectuée<br />

(à ce moment, il estime ses revenus mensuels à 280 euros par mois).<br />

Cette expérience <strong>de</strong> travail fût la <strong>de</strong>rnière qui m’ait été rapportée par Mamadou<br />

en décembre 2011. Âgé <strong>de</strong> 38 ans, il se pose aujourd’hui <strong>de</strong> sérieuses questions sur<br />

son avenir professionnel, un avenir dont il ne sait pas s’il doit le concevoir dans la<br />

société d’immigration - « moi, c’est la France ou rien » - ou dans la société<br />

d’émigration - « je voudrais hypothéquer notre maison à Bamako [et] monter une<br />

boîte là-bas 1 ». Ces propos contradictoires (tenus à quelques semaines d’intervalle)<br />

sont ceux d’un homme dont la précarité d’emploi 2 met en cause les raisons <strong>de</strong> sa<br />

présence en France, c'est-à-dire les raisons <strong>de</strong> son immigration.<br />

F. Résumons-nous<br />

Quelle qu’ait été la filière d’emploi empruntée par Mamadou - légale ou illégale,<br />

par le biais <strong>de</strong> l’intérim ou <strong>de</strong> son propre réseau d’interconnaissance, jamais il n’est<br />

parvenu à sécuriser durablement ses conditions sociales et économiques <strong>de</strong> vie. Son<br />

itinéraire professionnel peut se résumer à une inscription partielle dans le mon<strong>de</strong> du<br />

1 Lorsque le père <strong>de</strong> Mamadou est décédé (2009), les frères aînés <strong>de</strong> la famille ont hérité d’une maison<br />

dans le quartier Bankoni <strong>de</strong> la capitale malienne. Cette <strong>de</strong>rnière – qui n’est pas la maison <strong>de</strong> leur<br />

enfance - est aujourd’hui louée par <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la famille.<br />

2 Pour Serge Paugam, la précarité <strong>de</strong> l’emploi est définie quand l’emploi est « incertain et [que le<br />

salarié] ne peut prévoir son avenir professionnel », sa situation étant caractérisée par « une forte<br />

vulnérabilité économique et une restriction, au moins potentielle <strong>de</strong>s droits sociaux». Op. cit., Paugam,<br />

2000, p. 356. Je m’en tiens ici à cette définition <strong>de</strong> l’auteur.<br />

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