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Les bamakois diplômés de Paris

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une variable importante pour comprendre les logiques d’accueil : le temps<br />

d’hébergement. Cette variable va déterminer les attentes du groupe à l’égard du<br />

nouveau membre, notamment les modalités <strong>de</strong> sa participation à la vie collective.<br />

Or, Moussa n’exerce pas d’activité rémunérée, ce qui empêche la réciprocité <strong>de</strong>s<br />

échanges : « comme je ne travaillais pas, ça ne passait pas ». « L’effet <strong>de</strong> solidarité –<br />

écrit en ce sens Claudine Vidal - ne [se produit] qu’à l’avantage <strong>de</strong> ceux qui [ont], eux<br />

aussi, les moyens <strong>de</strong> se montrer solidaires […] 1 ».<br />

L’accueil a donc ses limites, celles qui sont imposées par les contraintes<br />

physiques <strong>de</strong> l’espace d’habitation, la capacité <strong>de</strong>s « accueillants » à supporter la<br />

charge d’une personne supplémentaire et, enfin, la capacité du nouvel arrivant à<br />

répondre aux exigences du don réciproque 2 .<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

1 Claudine Vidal, « La “solidarité africaine“, un mythe à revisiter », Cahiers d’étu<strong>de</strong>s africaines, vol. 34,<br />

n°136, 1994, p. 690.<br />

2 L’exemple <strong>de</strong> Moussa n’est pas un cas isolé. Il reflète au contraire la situation d’accueil <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong><br />

majorité <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> cette enquête, un accueil « temporaire » ou « partiel ». Toutefois, <strong>de</strong>ux<br />

interlocuteurs ont bénéficié <strong>de</strong> conditions d’accueil différentes : Yaya et Issa. Yaya a été accueilli en<br />

France par sa mère en 2000. Cette <strong>de</strong>rnière louait un grand appartement (70m²) dans le XXème<br />

arrondissement <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> : « Je n’avais rien à payer, pas <strong>de</strong> loyer, pas <strong>de</strong> nourriture, rien. J’avais<br />

directement ma chambre… C’est pour ça que pour moi, l’arrivée en France s’est faite en douceur. Je<br />

n’ai pas du tout été surpris par la France parce que je savais à quoi m’attendre». Là où la migration<br />

marque généralement une séparation avec la proche famille <strong>de</strong> Bamako, Yaya, lui, quitte le Mali pour<br />

retrouver sa mère à <strong>Paris</strong>. À cela, il faut ajouter que Yaya a été immédiatement soulagé du poids du<br />

logement et <strong>de</strong> son coût (le loyer). Ces <strong>de</strong>ux éléments ont sans nul doute influencé la manière dont il a<br />

appréhendé ces premiers mois d’installation dans la capitale française. Un second exemple est celui<br />

d’Issa. Rencontré à Bamako, cet interlocuteur a vécu plus <strong>de</strong> trente ans en France. Parti <strong>de</strong> lui-même<br />

pour trouver un club <strong>de</strong> football, il a eu l’opportunité <strong>de</strong> signer un contrat à Troyes en 1977 : « Très<br />

vite, j’ai été dans les foyers SONACOTRA [Société Nationale <strong>de</strong> Construction pour les Travailleurs,<br />

crée en 1957 et aujourd’hui nommée ADOMA], mais ils étaient neufs, c’était très bien ! <strong>Les</strong> dirigeants<br />

du club payaient, j’avais entraînement <strong>de</strong>ux fois par jour […] donc je n’avais pas le temps <strong>de</strong> penser.<br />

La gran<strong>de</strong> différence aussi, c’est que j’ai été dans une équipe, dans un groupe ». En 1978, sa femme le<br />

rejoint. Ils emménagent dans un appartement en centre ville, toujours aux frais du club. C’est à Troyes<br />

que naissent ses <strong>de</strong>ux enfants. En 1986, Issa change <strong>de</strong> club et <strong>de</strong> ville. La famille vit dorénavant à<br />

Besançon. En 1993, suite à une blessure, il met fin à sa carrière. Tous ses efforts et son capital financier<br />

sont alors investis dans un projet qui lui tient à cœur : ouvrir un magasin <strong>de</strong> sport à Bamako. En 1996,<br />

Issa et sa femme retournent au Mali laissant, d’un commun accord, leurs enfants poursuivre leurs<br />

étu<strong>de</strong>s en France. À 53 ans, Issa est propriétaire et gérant <strong>de</strong> son magasin. Il retourne régulièrement à<br />

<strong>Paris</strong> voir ses fournisseurs et ses enfants. L’expérience sociale d’Issa en France m’a fait prendre<br />

conscience d’une frange <strong>de</strong> la population migrante d’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest peu connue <strong>de</strong>s sociologues :<br />

les sportifs <strong>de</strong> haut niveau – et plus particulièrement les footballeurs. Si le commerce actuel du football<br />

n’a certainement plus rien à voir celui <strong>de</strong>s années 70-80, on ne peut pas douter que le salaire d’Issa,<br />

son réseau <strong>de</strong> connaissance, sa renommée (en France comme au Mali), ses conditions d’habitation, ont<br />

eu un impact considérable sur la façon dont il a vécu sa migration. Issa entre dans une catégorie <strong>de</strong><br />

migrant particulière qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un travail d’enquête à part entière, une catégorie qui ne peut pas<br />

être confondue avec la population <strong>de</strong> cette enquête. Quoi qu’il en soit, les exemples <strong>de</strong> Yaya et d’Issa<br />

vont dans le sens <strong>de</strong> l’argument développé ici : les différences d’insertion dans le réseau migrant<br />

d’accueil s’expliquent par les inégalités <strong>de</strong> ressources (capital économique, capital social) <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier.<br />

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