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Les bamakois diplômés de Paris

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tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

« C’est un ensemble d’évènements qui m’a fait atterrir dans ce travail là. Je<br />

ne pouvais pas accepter d’être chauffeur-livreur toute ma vie, c’est ce que je<br />

me disais. Je ne voyais aucun intérêt dans ce travail, aucun… Mais avant <strong>de</strong><br />

trouver autre chose, il fallait payer mon loyer. Vous voyez le topo, un petit<br />

noir livreur, catégorisé quoi, typé, les gens ils peuvent vous manquer <strong>de</strong><br />

respect… Quelquefois, avec ce qu’ils ont comme image du Noir [les clients et<br />

les patrons], ils essaient <strong>de</strong> vous rabaisser. Ils se comportent d’une telle<br />

manière, qu’ils vous parlent avec arrogance et tout. Ils sont hautains,<br />

certains. Ils se montrent supérieurs. Mais il y a toujours une façon <strong>de</strong><br />

rabaisser le caquet d’une personne sans pour autant utiliser les mêmes<br />

armes que lui. Il y a beaucoup <strong>de</strong> façons <strong>de</strong> répondre sans pour autant<br />

chercher à faire mal […]. Une fois, pendant une livraison, il y a une dame<br />

qui vient : “Monsieur vos pompes sont sales“. Je ne vais pas dire à cette<br />

dame, “Madame, cette information est gratuite“, elle va comprendre, elle va<br />

continuer à discuter. Je lui dis : “Madame, je suis désolé mais votre<br />

syllogisme manque <strong>de</strong> prémisses “. Dans un raisonnement logique, il y a une<br />

prémisse, une <strong>de</strong>uxième prémisse et après on conclut. La conclusion qui<br />

vient après les prémisses. Cette dame a conclu sans pour autant donner les<br />

prémisses, donc c’est une affirmation gratuite. [...] Elle n’a pas compris le<br />

français, elle se tait.»<br />

Tandis que Yaya fait l’éloge <strong>de</strong> certains aspects du métier <strong>de</strong> chauffeur-livreur<br />

(l’autonomie dans le travail en particulier), Amadou n’y voit « aucun intérêt». Pour<br />

ce <strong>de</strong>rnier, cette activité professionnelle est avant tout une solution d’appoint, un<br />

gagne-pain. Placé dans l’attente <strong>de</strong> nouvelles opportunités, il espère que sa situation<br />

<strong>de</strong> travail sera brève et passagère.<br />

« Un petit noir livreur », « catégorisé », « typé », cette association <strong>de</strong> mots<br />

révèle également qu’Amadou perçoit son activité comme un support <strong>de</strong><br />

dévalorisation symbolique, notamment parce qu’elle serait propice à l’activation <strong>de</strong>s<br />

stéréotypes liés à la couleur <strong>de</strong> la peau. Ainsi, l’image négative qu’il se fait du métier<br />

structure non seulement son rapport au travail mais aussi son comportement à<br />

l’égard <strong>de</strong>s personnes rencontrées durant ses livraisons, celles qui sont<br />

« arrogantes » ou « hautaines », qui lui « manquent <strong>de</strong> respect » ou « se montrent<br />

supérieures ». Au cours <strong>de</strong> ces interactions, Amadou n’hésite pas à user <strong>de</strong> ses<br />

ressources linguistiques pour déjouer les assignations i<strong>de</strong>ntitaires arbitraires et les<br />

attitu<strong>de</strong>s stigmatisantes. Là encore, le capital pré-migratoire – et plus spécifiquement<br />

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