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Les bamakois diplômés de Paris

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salaire, la dépendance sociale et l’impossibilité <strong>de</strong> se marier. Mais dans cet extrait du<br />

journal <strong>de</strong> terrain, on voit surtout apparaître l’idée <strong>de</strong> l’« alternative migratoire ».<br />

[Bamako, le 12.01.08] Le moral <strong>de</strong> Djigui est au plus bas. « C’est la<br />

canicule » dit-il pour signifier l’absence d’argent.<br />

« Tu te rends compte, un pauvre enseignant comme moi. Cela fait <strong>de</strong>ux<br />

mois que je n’ai pas eu mon salaire, et un salaire <strong>de</strong> misère en plus<br />

[35000 FCFA pour 20 heures par semaine]. Je dois taxer la moindre<br />

cigarette, je taxe, je taxe, je taxe. David, j’ai 30 ans, je ne gagne rien, je<br />

ne suis pas marié, je ne vois pas ce que je peux faire. Je veux fuir ce<br />

pays, c’est ça qui est dans ma tête. »<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

En faisant un rapi<strong>de</strong> tour <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> Djigui, je ne vois pas<br />

<strong>de</strong> solutions. Il s’accroche à son travail, son école, sa classe : « J’aime<br />

encadrer mes élèves, les pousser vers le haut […]. <strong>Les</strong> parents, ils sont<br />

contents ». Mais surtout, il ne peut pas se marier, car pour cela, il faut <strong>de</strong><br />

l’argent, et pour avoir <strong>de</strong> l’argent, il ne faut pas être enseignant. Quelles<br />

alternatives s’offrent à Djigui <br />

Il est persuadé qu’il n’intéresse personne, surtout pas les filles. Elles ne<br />

veulent pas d’un homme en situation précaire. Pour lui, « ce qui les intéresse<br />

ici, c’est juste argent ou pas argent Après, on commence à discuter ».<br />

Pourquoi partir si l’on peut répondre aux exigences normatives <strong>de</strong> sa société <br />

Pourquoi laisser ceux que l’on aime <br />

Djigui se projette sur une terre qu’il pense faite <strong>de</strong> richesse, où le travail<br />

est rémunéré à sa juste valeur et où l’argent ne serait pas le leitmotiv’ <strong>de</strong>s<br />

filles. Pour lui, c’est la France. Et puis « vu ce qu’elle nous a fait, elle peut très<br />

bien nous accueillir. […] Le travail chez les blancs est payé, les femmes<br />

pensent à autre chose que l’argent, on peut s’en sortir sans personne ». Voilà<br />

la société <strong>de</strong>s blancs, celle imaginée par Djigui. Il conclut : « La pauvreté me<br />

consume à petit feu. Je suis assis là et je me pose mille questions. Et toutes<br />

concernent mon avenir ».<br />

Comme ce fût le cas pour mes interlocuteurs parisiens, le sentiment qui domine<br />

la conscience <strong>de</strong> Djigui est l’incertitu<strong>de</strong>. Ses conditions <strong>de</strong> vie ne lui permettent pas<br />

d’agir selon les modèles sociaux établis. C’est face à cette série d’obstacles qui lui<br />

semble infranchissables que le désir d’un ailleurs meilleur émerge. Or, il y a un point<br />

commun dans le discours <strong>de</strong>s enquêtés qui est remarquable : la France, dans ce<br />

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