20.01.2015 Views

Les bamakois diplômés de Paris

Les bamakois diplômés de Paris

Les bamakois diplômés de Paris

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

oulot dans un bar, serveur quoi, là-bas, à Bamako. J’ai fait ça pendant un<br />

an. […] Je me suis retrouvé à servir mes étudiants ! Je leur apprenais <strong>de</strong>s<br />

choses et puis je me suis trouvé à les servir ! Je me sentais diminué. En fait,<br />

j’avais envie d’exploser. » Jules.<br />

Tant qu’il était étudiant, Jules bénéficiait d’une certaine légitimité, du moins, se<br />

sentait-il à sa place :<br />

« Un étudiant, ça étudie. C’est normal. Pour tout le mon<strong>de</strong> c’est normal,<br />

pour toi, ta famille, c’est normal. Mais une fois que tu as ton diplôme, on<br />

attend <strong>de</strong> toi autre chose… Que tu fasses quelque chose avec ce diplôme là<br />

[Silence]. Il doit te rapporter <strong>de</strong> l’argent. Ce n’est pas avec l’argent que je<br />

gagnais dans le bar que les choses allaient changer. […] Franchement, je ne<br />

voyais pas comment m’en sortir. » Jules.<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Dans bien <strong>de</strong>s cas, le diplôme n’est valorisé socialement que s’il permet<br />

l’intégration et la réussite professionnelles. Ainsi, l’amertume <strong>de</strong> Jules trouve-t-elle sa<br />

source dans <strong>de</strong>s conditions objectives <strong>de</strong> travail (salaire, tâches exécutées). Ces<br />

mêmes conditions sont sans rapport avec ses compétences et ne lui permettent pas <strong>de</strong><br />

faire valoir son statut <strong>de</strong> diplômé. Cette « infériorité contrainte 1 » est d’autant plus<br />

difficile à supporter qu’elle s’inscrit dans la durée, avec ce sentiment qu’aucune<br />

amélioration n’est possible. Cela révèle un point important à propos <strong>de</strong> la formation<br />

scolaire. Elle conditionne le rapport à soi et aux autres, certes, mais elle impose<br />

également <strong>de</strong> penser l’avenir selon l’axe <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s suivies. Ibrahim, docteur en<br />

pharmacie, témoigne en ce sens :<br />

« Mais à Bamako, c’est à la maison qu’on venait me voir, une maman me<br />

<strong>de</strong>mandait si tel médicament était bon pour son enfant, on me questionnait<br />

sur la posologie, les effets… “Tel mé<strong>de</strong>cin m’a dit ça, tel mé<strong>de</strong>cin m’a dit <strong>de</strong><br />

faire comme ça, est-ce que c’est vrai “. Tu vois Je ne sais pas comment te<br />

dire ça… Mais pour moi, je sais que je suis pharmacien, que j’ai le potentiel<br />

<strong>de</strong> pharmacien.» Ibrahim.<br />

À <strong>Paris</strong>, Ibrahim continue <strong>de</strong> concentrer ses efforts pour intégrer le mon<strong>de</strong><br />

professionnel <strong>de</strong>s pharmaciens ; celui pour lequel il a été formé et dans lequel il se<br />

reconnaît, avec toutes les difficultés sociales, juridiques et économiques liées au<br />

1 Serge Paugam, Le salarié <strong>de</strong> la précarité, <strong>Paris</strong>, PUF, 2000, p. 6.<br />

180

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!