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Jonathan Strange & Mr Norrell

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l’amiral Desmoulins. Il avait un domestique, un homme très<br />

menu, guère plus grand qu’un enfant de huit ans, et aussi brun<br />

que peut l’être un Européen. On eût cru qu’on l’avait passé au<br />

four et qu’on l’y avait laissé trop cuire. Sa peau avait la couleur<br />

d’un grain de café et la texture du riz au lait desséché. Il avait les<br />

cheveux noirs, gras et hérissés, pareils aux piquants et aux<br />

tuyaux de plumes qu’on peut observer sur les parties les moins<br />

succulentes des poulets rôtis. Il s’appelait Perroquet. L’amiral<br />

Desmoulins était très fier de son Perroquet, fier de sa petite<br />

taille, fier de son intelligence, fier de son agilité et surtout fier de<br />

sa couleur. L’amiral Desmoulins se vantait souvent d’avoir vu<br />

des Noirs qui eussent paru clairs à côté de Perroquet.<br />

Il revint à Perroquet de rester assis quatre jours sous le<br />

déluge, à observer les navires au moyen de sa lunette. La pluie<br />

rejaillissait de son bicorne taille enfant comme de deux petites<br />

gargouilles pour couler dans le col de sa redingote, également<br />

de taille enfant, alourdissant terriblement celle-ci, transformant<br />

le drap en feutre, et ruisseler sur sa peau cuite et huileuse, mais<br />

il n’y prêtait pas la moindre attention.<br />

Au bout de quatre jours Perroquet poussa un soupir, se<br />

releva d’un bond, s’étira, ôta son chapeau, se gratta<br />

vigoureusement la tête, bâilla puis déclara :<br />

— Ma foi, mon amiral, ces bâtiments sont les plus étranges<br />

que j’aie jamais vus ! Cela dépasse mon entendement.<br />

— Comment cela, Perroquet ? demanda l’amiral.<br />

L’amiral Desmoulins et le capitaine Jumeau étaient venus<br />

rejoindre Perroquet sur les falaises près de Saint-Julien de<br />

Camaret, et la pluie rejaillissait aussi de leurs bicornes,<br />

transformant aussi le drap de leurs redingotes en feutre, et<br />

remplissaient leurs bottes d’un demi-pouce d’eau.<br />

— Ma foi, répondit Perroquet, les bâtiments reposent sur<br />

l’eau comme s’ils étaient déventés, et pourtant ils ne le sont pas.<br />

Il souffle un grand frais ouest qui devrait en toute justice les<br />

drosser sur ces rochers, mais est-ce le cas ? Non. Les bâtiments<br />

chassent-ils sur leurs ancres ? Non. Réduisent-ils la voilure ?<br />

Non. Je ne puis compter le nombre de fois où le vent a tourné<br />

depuis que je suis ici, or qu’ont fait les hommes à bord ? Néant.<br />

Le capitaine Jumeau, qui n’aimait pas Perroquet et était<br />

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