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Jonathan Strange & Mr Norrell

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de ses filles. Depuis de nombreux mois c’était un lieu très<br />

mélancolique, et voilà que l’état-major de Wellington l’avait<br />

investi pour le remplir du brouhaha de leurs plaisanteries et<br />

discussions sonores ; les pièces lugubres étaient presque<br />

égayées par les allées et venues des officiers aux habits rouge et<br />

bleu.<br />

L’heure précédant le dîner était une des plus animées de la<br />

journée ; la salle était bondée d’officiers venus au rapport ou<br />

prendre leurs ordres, ou encore simplement glaner des<br />

commérages. À une extrémité, un vénérable escalier de pierre<br />

ornementé et en ruine menait à une antique porte à deux<br />

battants. Derrière ces portes, racontait-on, Lord Wellington<br />

travaillait assidûment à concevoir de nouveaux plans pour<br />

vaincre les Français ; curieusement, tous ceux qui entraient ne<br />

manquaient pas de jeter un regard respectueux en direction du<br />

sommet de l’escalier. Deux membres de l’état-major de<br />

Wellington, le directeur de l’intendance militaire, le colonel<br />

George Murray, et l’adjudant major, le général Charles Stewart,<br />

avaient pris place de part et d’autre d’une grande table, tous<br />

deux très occupés à faire des préparatifs pour l’évacuation de<br />

l’armée, prévue le jour suivant. Et permettez-moi de marquer<br />

une pause ici juste pour vous faire observer que si, à la lecture<br />

des mots « colonel » et « général », vous vous figurez deux vieux<br />

birbes attablés, vous ne sauriez être davantage dans l’erreur.<br />

Dix-huit ans auparavant, lorsque la guerre des Français avait<br />

commencé, l’armée britannique, il est vrai, était commandée<br />

par quelques personnages d’un âge vénérable, dont beaucoup<br />

avaient blanchi sous le harnais sans voir un champ de bataille.<br />

Les années ayant filé, ces vieux généraux étaient tous à la<br />

retraite ou morts, et l’on avait trouvé opportun de les remplacer<br />

par des hommes plus jeunes, plus énergiques. Wellington avait<br />

à peine quarante ans, la plupart de ses officiers supérieurs<br />

étaient encore plus jeunes. Le salon du manoir de José Estoril<br />

était donc plein de cadets, tous amateurs de combat, tous<br />

amateurs de danse, tous dévoués corps et âme à Lord<br />

Wellington.<br />

Ce soir de mars, bien que pluvieux, était doux, aussi doux<br />

qu’un soir de mai en Angleterre. Depuis la mort de José Estoril,<br />

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