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Jonathan Strange & Mr Norrell

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maire d’un bourg de la vallée de la Loire. Tard dans la soirée, il<br />

attendait que tous ses domestiques fussent couchés et, dans le<br />

secret de sa chambre, il revêtait les bijoux, les robes et autres<br />

falbalas de la comtesse et se pavanait de long en large devant sa<br />

psyché. C’est là que je l’ai trouvé un soir. Il avait l’air ridicule, je<br />

dois dire. Je l’ai étranglé sur place… au moyen du collier de<br />

perles.<br />

— Oh ! fit Stephen.<br />

— Je me suis saisi des perles, j’ai laissé le corps choir sur le<br />

sol et passé mon chemin. Ensuite, j’ai accordé toute mon<br />

attention à la ravissante robe rose de votre mère. Le marin qui<br />

en avait hérité l’a gardée parmi ses effets pendant un an ou<br />

deux, jusqu’au jour où il échoua dans un hameau misérable et<br />

glacé du nom de Piper’s Grave, sur la côte est de l’Amérique. Là,<br />

il rencontra une grande femme mince, à qui il offrit la robe avec<br />

le désir de l’impressionner. La robe n’allait pas à cette<br />

demoiselle (votre mère, Stephen, avait des formes féminines,<br />

doucement arrondies), mais elle en aimait la couleur, aussi la<br />

découpa-t-elle et confectionna-t-elle une courtepointe avec les<br />

morceaux et d’autres chiffons bon marché. Le reste de l’histoire<br />

de cette femme n’est pas très intéressant, elle a eu plusieurs<br />

époux et les a tous enterrés et, quand je l’ai retrouvée, elle était<br />

vieille et ratatinée. J’ai arraché la courtepointe de son lit<br />

pendant son sommeil.<br />

— Vous ne l’avez pas tuée, monsieur ? s’enquit Stephen, avec<br />

inquiétude.<br />

— Non, Stephen. Pourquoi l’eussé-je fait ? Certes, c’était<br />

pendant l’horreur d’une nuit glacée, sous quatre pieds de neige<br />

et un violent aquilon. Elle est peut-être morte de froid, je ne<br />

sais. Nous en venons donc enfin au baiser et au capitaine qui<br />

l’avait volé.<br />

— L’avez-vous tué, monsieur ?<br />

— Non, Stephen, bien que je l’eusse certainement fait pour le<br />

punir d’avoir insulté votre estimée mère et amie, mais il a été<br />

pendu en la ville de Valletta, voilà vingt-neuf ans. Par bonheur,<br />

il avait lutiné un grand nombre d’autres demoiselles avant sa<br />

mort, et la vertu et la force du baiser de votre mère leur avaient<br />

été transmises. Tout ce que j’avais à faire, c’était de les retrouver<br />

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