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Jonathan Strange & Mr Norrell

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LE SOIR SUIVANT, dans un salon où une mélancolie vénitienne<br />

se mêlait à line munificence tout aussi vénitienne d’une manière<br />

hautement romantique et satisfaisante, les Greysteel et <strong>Strange</strong><br />

s’attablèrent pour dîner. Même le sol de marbre, usé et fêlé,<br />

avait tous les coloris d’un hiver à Venise. La tête de la tante<br />

Greysteel, coiffée de son bonnet blanc immaculé, ressortait sur<br />

la porte sombre et imposante qui se dessinait au loin derrière<br />

elle. Le linteau en était surmonté de vagues moulures et ne<br />

ressemblait rien moins qu’à un monument funéraire drapé<br />

d’ombres lugubres. Sur les murs de plâtre apparaissaient de<br />

pâles fresques peintes dans des couleurs fantomatiques, toutes à<br />

la gloire de quelque ancienne famille autochtone dont le dernier<br />

héritier s’était noyé longtemps auparavant. Les propriétaires<br />

actuels étaient aussi pauvres que des souris d’église et n’avaient<br />

pu restaurer leur palais depuis de nombreuses années. Il<br />

pleuvait dehors et, ce qui était plus surprenant, il pleuvait aussi<br />

dedans ; d’un coin de la pièce provenait le bruit désagréable de<br />

grandes quantités d’eau dégouttant abondamment sur le sol et<br />

le mobilier. Les Greysteel n’allaient pas céder à la mélancolie ni<br />

se priver d’un très bon dîner pour de telles vétilles. Ils avaient<br />

chassé les ténèbres funèbres à grand renfort de chandelles et<br />

étouffaient le vacarme des gouttières sous leurs rires et leur<br />

bavardage. De manière générale, ils donnaient une gaieté tout<br />

anglaise à cette partie du salon où ils étaient installés.<br />

— Je ne comprends pas, dit <strong>Strange</strong>. Qui s’occupe de la<br />

vieille dame ?<br />

— Le monsieur juif, qui m’a l’air d’une âme très charitable,<br />

lui assure le logis, répondit le Dr Greysteel. Ses domestiques<br />

déposent des plats de nourriture à son intention au bas de<br />

l’escalier.<br />

— Mais comment cette pitance lui parvient-elle ? s’écria Miss<br />

Greysteel. Nul ne le sait. Le Signor Tosetti croit que ses chats la<br />

lui montent.<br />

— Allons donc ! déclara le Dr Geeysteel. Qui a dit que les<br />

chats étaient utiles ?<br />

— À rien sauf à vous regarder d’un air hautain, acquiesça<br />

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