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Jonathan Strange & Mr Norrell

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dernier sommeil 97. Il se livra à plusieurs essais ; hélas, ceux-ci<br />

n’eurent que très peu d’effet, hormis une fois, où les dix-sept<br />

cadavres poussèrent soudain comme des champignons jusqu’à<br />

atteindre six mètres de haut et devenir curieusement<br />

transparents, telles d’immenses aquarelles d’eux-mêmes<br />

réalisées sur des bannières de mousseline. Après que <strong>Strange</strong><br />

leur eut rendu leur taille normale, le problème de leur sort<br />

demeura entier.<br />

D’abord, ils furent joints aux prisonniers français. Ces<br />

derniers protestèrent haut et fort contre le fait de partager leur<br />

prison avec pareilles horreurs qui traînaient les pieds en tenant<br />

à peine debout. (« Et vraiment, déclara Lord Wellington en<br />

contemplant les cadavres avec dégoût, on ne peut pas leur en<br />

vouloir… »)<br />

Une fois les prisonniers embarqués pour l’Angleterre, les<br />

morts napolitains restèrent donc avec l’armée. Tout cet été-là,<br />

ils voyagèrent dans un char à bœufs et, sur l’ordre de Lord<br />

Wellington, ils avaient été enchaînés. Les fers étaient censés<br />

restreindre leurs mouvements et les obliger à tenir en place,<br />

mais les morts napolitains ne craignaient point la douleur, ils<br />

semblaient même y être insensibles ; aussi cela ne leur coûtait-il<br />

guère de s’arracher à leurs chaînes, laissant parfois des<br />

lambeaux de chair derrière eux. Dès qu’ils s’étaient libérés, ils<br />

partaient à la recherche de <strong>Strange</strong> et, de la plus pitoyable<br />

manière que l’on pût imaginer, commençaient à l’implorer de<br />

les rappeler pleinement à la vie. Ils avaient vu l’enfer et n’étaient<br />

pas pressés d’y retourner.<br />

À Madrid, l’artiste espagnol Francisco Goya réalisa une<br />

sanguine de <strong>Jonathan</strong> <strong>Strange</strong> entouré des morts napolitains.<br />

Sur le croquis, <strong>Strange</strong> est assis par terre, le regard baissé et les<br />

bras ballants ; toute son attitude exprime l’impuissance et le<br />

désespoir. Les Napolitains se pressent autour de lui ; certains le<br />

regardent d’un air affamé, d’autres ont des expressions<br />

suppliantes sur le visage, l’un d’eux tend un doigt hésitant pour<br />

lui caresser la nuque. Ce dessin, inutile de le préciser, est tout à<br />

97 Pour mettre fin à la « vie » des cadavres, il faut leur arracher les yeux,<br />

la langue et le cœur.<br />

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