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Jonathan Strange & Mr Norrell

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l’état de vieux fruits, elles étaient passées à celui de cadavres<br />

boursouflés et, enfin, de purs fantômes de pommes. Une odeur<br />

très prononcée régnait en ce lieu : un mélange d’encre, de<br />

papier, de charbon de mer, de cognac, d’opium, de pommes en<br />

putréfaction, de suif, de café, l’ensemble pimenté du fumet<br />

unique dégagé par deux hommes qui travaillaient nuit et jour<br />

dans un espace confiné et qui au grand jamais ne se seraient<br />

risqués à ouvrir une fenêtre.<br />

La vérité était que Minervois et Forcalquier oubliaient<br />

souvent qu’il existait des lieux comme Spitalfields ou la France<br />

sur la face de la Terre. Ils vivaient des jours d’affilée dans le<br />

petit univers des gravures conçues pour le livre de <strong>Strange</strong> ; or<br />

celles-ci étaient vraiment des curiosités.<br />

Elles représentaient de grands couloirs, taillés dans les<br />

ombres plus que dans tout autre matériau. D’obscures<br />

ouvertures dans les murs suggéraient encore d’autres couloirs,<br />

de sorte que les gravures paraissaient rendre l’intérieur d’un<br />

labyrinthe ou d’un lieu de ce genre. Sur certaines, on voyait de<br />

larges marches dévalant vers de ténébreux canaux souterrains.<br />

Des dessins montraient une vaste et sombre lande, où<br />

serpentait une route abandonnée. Le spectateur paraissait<br />

contempler ce décor d’une grande hauteur. Loin, très loin sur<br />

cette route se détachait une ombre – rien de plus qu’une<br />

éraflure à la surface, plus claire, de la chaussée – trop lointaine<br />

pour distinguer un homme, une femme ou un enfant, ou un être<br />

humain en général, mais sa présence au milieu de cet espace<br />

désertique était mystérieusement inquiétante.<br />

Une image figurait une esquisse de pont solitaire qui<br />

enjambait un immense abîme vaporeux – peut-être le ciel – et,<br />

bien que le pont fût bâti de la même pierre massive que les<br />

couloirs et les canaux, de petits escaliers descendaient en<br />

colimaçon sur chacun de ses côtés, accrochés à ses énormes<br />

piles. Ces escaliers étaient des structures d’aspect fragile,<br />

construites avec beaucoup moins d’art que le pont ; il y en avait<br />

une quantité qui dégringolaient dans les nuages vers Dieu savait<br />

où.<br />

<strong>Strange</strong>, dont la concentration rivalisait avec celle de<br />

Minervois, se pencha sur ces curiosités, émettant tour à tour<br />

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