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Jonathan Strange & Mr Norrell

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Lors de la cinquantième année de Maria Absalom, le lierre<br />

était devenu si vigoureux et s’était tellement étendu qu’il<br />

poussait dans tous les placards et rendait une bonne partie des<br />

sols glissante et peu sûre pour celle qui y posait le pied. Les<br />

oiseaux chantaient autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du<br />

manoir. Pour son centenaire, la dame était aussi décrépite que<br />

la maison – pourtant ni l’une ni l’autre n’était aucunement<br />

« éteinte ». Elle vécut quarante-neuf ans de plus, avant de<br />

mourir dans son lit par un beau matin d’été, nimbée par la<br />

lumière variable du soleil et les ombres des feuillages d’un<br />

grand frêne qui tombaient tout autour d’elle.<br />

Tandis qu’ils se hâtaient vers Shadow House par ce torride<br />

après-midi, <strong>Mr</strong> Honeyfoot et <strong>Mr</strong> Segundus s’inquiétaient de ce<br />

que <strong>Mr</strong> <strong>Norrell</strong> finît par avoir vent de leur venue (en effet, entre<br />

les amiraux et les ministres qui lui envoyaient des courriers<br />

respectueux et lui rendaient visite, <strong>Mr</strong> <strong>Norrell</strong> devenait d’heure<br />

en heure plus important). Ils craignaient qu’il ne considérât que<br />

<strong>Mr</strong> Honeyfoot avait violé les clauses de son contrat. Aussi, afin<br />

que le moins de monde possible fût au courant de leur<br />

expédition, ils n’avaient confié à personne leur destination et<br />

étaient partis à une heure très matinale, pour se rendre à pied à<br />

une ferme où ils avaient pu louer des chevaux, avant de prendre<br />

la direction de Shadow House par un chemin détourné.<br />

Au bout de la route blanche qui poudroyait, ils arrivèrent<br />

devant un portail monumental. <strong>Mr</strong> Segundus descendit de<br />

cheval pour l’ouvrir. Les grilles, dont le beau fer forgé castillan<br />

était rouillé, avaient viré au rouge sombre éclatant, et leur forme<br />

originelle était tordue et délabrée. <strong>Mr</strong> Segundus eut la main<br />

autant maculée de poussière que si l’on avait tassé et moulé un<br />

million de roses séchées et qu’on les avait réduites en poudre<br />

afin de créer un simulacre onirique de portail. Les arabesques<br />

métalliques s’ornaient en outre de bas-reliefs composés de têtes<br />

hilares et malveillantes, désormais d’un rouge ardent et à moitié<br />

effritées, comme si la région de l’Enfer où ces païens<br />

demeuraient alors dépendait d’un démon négligent qui eût<br />

laissé surchauffer son four.<br />

Les grilles s’ouvraient sur mille rosiers rose pâle, sur de<br />

hautes falaises inclinées d’ormes, de frênes et de marronniers<br />

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