01.07.2013 Views

Jonathan Strange & Mr Norrell

Jonathan Strange & Mr Norrell

Jonathan Strange & Mr Norrell

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

gagna : une sensation proche de la chute, et pourtant il restait<br />

debout. C’était comme si son esprit s’était effondré.<br />

Il croyait se tenir sur un versant de colline anglaise. La<br />

pluie tombait ; elle se tordait dans les airs, tels des fantômes<br />

gris. Il pleuvait sur lui et il devenait aussi fin que la pluie. La<br />

pluie emportait la pensée, elle emportait les souvenirs, le bien<br />

et le mal. Il ne savait plus qui il était. Tout était emporté, telle<br />

la croûte de boue d’une pierre. La pluie le remplit de ses<br />

pensées et de ses souvenirs à elle. Des filets d’eau argentés<br />

recouvrirent le flanc de colline, telle une dentelle délicate, telles<br />

les veines d’un bras.<br />

Il croyait reposer sous la Terre, sous l’Angleterre. Des<br />

éternités s’écoulèrent ; le froid et la pluie s’insinuèrent en lui ;<br />

des pierres bougèrent en lui. Dans le Silence et l’Obscurité, il<br />

devint immense. Il devint la Terre, il devint l’Angleterre. Une<br />

étoile le regarda du haut du ciel et lui parla. Une pierre lui<br />

posa une question à laquelle il répondit dans la langue des<br />

pierres. Une rivière dessina une boucle à son côté ; des coteaux<br />

bourgeonnèrent sous ses doigts. Il ouvrit la bouche et exhala le<br />

printemps…<br />

Il se croyait acculé dans un fourré, au fond d’un bois obscur<br />

en hiver. Les arbres continuaient à l’infini, colonnes obscures<br />

séparées par de fines stries blanches de lumière hivernale. Il<br />

baissa les yeux. De jeunes rejets le transperçaient de part en<br />

part ; ils croissaient à travers son corps, ses pieds et ses mains.<br />

Ses paupières ne se fermaient plus parce que des brindilles<br />

avaient poussé au travers. Des insectes entraient dans ses<br />

oreilles et en sortaient en trottinant ; des araignées tissaient<br />

des nids et des toiles dans sa bouche. Il comprit qu’il était<br />

entrelacé avec le bois depuis des années. Il connaissait le bois<br />

et le bois le connaissait. On ne savait plus ce qui était bois et ce<br />

qui était homme.<br />

Tout était silencieux. La neige tombait. Il cria…<br />

L’obscurité. Comme s’il émergeait d’eaux sombres,<br />

- 871 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!