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la harpe. cours de littérature - Notes du mont Royal

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acte , rempli do traits <strong>de</strong> force et <strong>de</strong> vérité , heureusement<br />

imités <strong>de</strong> Sénèque. Ce sont ces beautés<br />

réelles qui , mê<strong>la</strong>nt par intervalles l'admiration à <strong>la</strong><br />

curiosité, soutiennent l'attention <strong>de</strong>s speetateers jusqu'au<br />

cinquième acte, dont le sublime les transporte<br />

assez pour leur faire oublier que jusque-là l'émotion<br />

et l'intérêt ont souvent faibli et varié.<br />

Je ferai ici $ à l'avantage <strong>de</strong> Corneille, une observation<br />

sur ce rôle d'Emilie, qui $ dans le troisième<br />

et le quatrième acte, est certainement le grand ap-<br />

' pui <strong>de</strong> cet édifice dramatique dont plusieurs parties<br />

sont si défectueuses. Yoltaire , en avouant qu't/ étincelle<br />

<strong>de</strong> traits admirables, en fait <strong>la</strong> critique <strong>de</strong> cette<br />

manière :<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

« On <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi cette ÉmUie ne touche point;<br />

pourquoi ce personnage ne fait pas an théâtre <strong>la</strong> gran<strong>de</strong><br />

impression qu'y fait Hermlone. Elle est Time <strong>de</strong> toute <strong>la</strong><br />

pièce , et cependant elle inspire peu d'intérêt N'est-ce point<br />

parce qu'elle n'est pas malheureuse? n'est-ce point parce<br />

que les sentiments d'un Brutes $ d'un Cassins, conviennent<br />

peu à une fille?... C'est Emilie que <strong>la</strong><strong>du</strong>e avait es vue<br />

lorsqu'il dit dans une <strong>de</strong> ses préfaces qu'il ne veut pas<br />

mettre sur Se théâtre <strong>de</strong> ces femmes qui font <strong>de</strong>s leçons<br />

d'héroïsme aux hommes. »<br />

Ces réflexions sont d $ un goût fin et délicat; mais<br />

. m rapprochement d'Hermione et d'Emilie ne me<br />

paraît pas exact. L'une ne <strong>de</strong>vait pas ressembler à<br />

l'autre. 11 est bien vrai que toutes <strong>de</strong>ui exigent <strong>de</strong><br />

leur amant une vengeance et un meurtre ; mais leur<br />

injure, et par conséquent leur situation, n'est pas <strong>la</strong><br />

même, et se défait pas pro<strong>du</strong>ire le même effet. Emilie<br />

poursuit <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> son père Toranius, tué $<br />

il y a vingt ans , dans le temps <strong>de</strong>s proscriptions. Ce<br />

sentiment est légitime; mais personne n ? a connu<br />

ce Toranius. La perte qu f a faite Emilie est bien ancienne;<br />

Auguste même Fa réparée-autant qu'il Ta<br />

pu, en traitant Emilie comme sa fille adoptîve; elle<br />

a reçu ses bienfaits : sa situation, comme le remarque<br />

très-bien le commentateur, n'est point à p<strong>la</strong>indre.<br />

Ainsi donc, lorsqu'elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> tête d'Auguste,<br />

c'est un sentiment tout au moins aussi<br />

républicain queilial , ennobli surtout par le <strong>de</strong>ssein<br />

<strong>de</strong> rendre <strong>la</strong> liberté aui Romains : c'est un <strong>de</strong>s sentiments<br />

auxquels on peut se prêter, mais que le spéciale<br />

n'embrasse pas comme s*Ms étaient les siens,<br />

qu'il ne partage pas a?ee toute <strong>la</strong> vivacité dt ses<br />

affections ; ces sortes <strong>de</strong> râles sont plutôt <strong>de</strong>s moyens<br />

d'action que <strong>de</strong>s mobiles d'intérêt. 11 n'en est pas<br />

<strong>de</strong> même d'Hermione. Son injure est récente, elle<br />

.est sous les yeux <strong>du</strong> spectateur : c'est une femme $<br />

une princesse cruellement outragée et fortement passionnée.<br />

L'offense qu'elle reçoit est <strong>de</strong> celles que tout<br />

son mm partage , et son infortune est <strong>de</strong> celles qui<br />

4S9<br />

excitent <strong>la</strong> pitié <strong>du</strong> nôtre. Sa vengeance n'est pas<br />

un <strong>de</strong>voir ; c'est une passion, et une passion si aveugle<br />

et si forcenée, que l'on sent bien qu'Hermione<br />

se fait illusion à elle-même, et qu'elle sera plus à<br />

p<strong>la</strong>indre encore dès qu'on l'aura vengée. 11 résulte<br />

<strong>de</strong> cette différence essentielle entre les <strong>de</strong>ux rôles,<br />

que celui <strong>de</strong> Racine est infiniment plus théâtral,<br />

mais que Corneille, en faisant l'autre pour un p<strong>la</strong>n<br />

différent, n'était pas obligé <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire <strong>la</strong> même<br />

impression. 11 nefaut donc pas exiger qu'Emilie nous<br />

towke, mais seulement qu'elle nous attache; et<br />

c'est à quoi l'auteur a réussi en lui donnant le mérite<br />

qui lui est propre, celui d'une noblesse d Y âme<br />

que rien ne peut abaisser, d'une résolution intrépi<strong>de</strong><br />

que rien ne peut ébranler. De ce eété, ce me semble,<br />

Corneille a bien connu son art, en ce qu'il a senti $<br />

ce qu'on peut poser pour principe, que, toutes les<br />

fois qu'un caractère ne peut pas nous émouvoir par<br />

<strong>de</strong>s sentiments que nous partagions, il ne peut nous<br />

subjuguer que par une énergie et une gran<strong>de</strong>ur qui<br />

nous imposent. Un pareil personnage ne peut pas<br />

vouloir trop décidément ce qu'il veut; Car ce n'est<br />

que par cette volonté forte qu'il peut suppléer à l'intérêt<br />

qui lui manque. C'est à quoi Corneille a réussi<br />

dans le rôle d'Emilie; et s'il vou<strong>la</strong>it en offrir le contraste<br />

dans celui <strong>de</strong> Cinna, les principes <strong>de</strong> l'art<br />

exigeaient qu'il le peignît, dès le commencement,<br />

ba<strong>la</strong>ncé entre le pouvoir que sa maîtresse a sur lui,<br />

et l'horreur d'un assassinat, comme, dans <strong>la</strong> tragédie<br />

<strong>de</strong> Bruêus, le jeune Titus est continuellement<br />

partagé entre son amour et son <strong>de</strong>voir.<br />

Je ne parle pas <strong>du</strong> rôle <strong>de</strong> Ovie, que l'on a retranché<br />

â <strong>la</strong> représentation, comme l'Infante dans<br />

h CM. 11 était non-seulement .inutile, mais il affaiblirait<br />

le mérite <strong>de</strong> Inclémence d'Auguste, en<br />

lui faisant suggérer parles conseils d'autrui unebelle<br />

action que <strong>la</strong> générosité seule doit lui dicter. Ici<br />

l'exactitu<strong>de</strong> historique trompa fauteur, qui ne s'aperçut<br />

pas que ce conseil <strong>de</strong> Livie était <strong>du</strong> nombre<br />

<strong>de</strong>s faits que le poète dramatique est le maître <strong>de</strong><br />

supprimer.<br />

A l'égard <strong>du</strong> cinquième acte, un siècle et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong><br />

succès l'a consacré. La beauté <strong>de</strong>s vers et <strong>la</strong> simplicité<br />

sublime <strong>du</strong> style font voir que, si Fauteur est<br />

re<strong>de</strong>vable à Sénèque <strong>de</strong> tout le fond <strong>de</strong> cette scène<br />

immortelle, il avait dans son âme le sentiment <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> vraie gran<strong>de</strong>ur, et en connaissait l'expression. II<br />

n'y avait qu'Auguste, mis en scène par Corneille,<br />

qui pût dire :<br />

le suis maître <strong>de</strong> mol comme <strong>de</strong> 1'unlven.<br />

Je le suis, je wmx l'être : o siècles ! ô mémoire !<br />

Conservez à jamais ma déniera victoire,<br />

le triomphe aujourd'hui <strong>du</strong> plus juste courroux<br />

De fiîl le souvenir puisse aller jusqu'à TOUS.

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