La Dialectique aristotélicienne, les principes clés des Topiques ...

Yvan Pelletier
celle du lieu, assiste un dialecticien déjà capable de discuter et s’élabore
d’ailleurs en l’observant en action. C’est la conception de base d’Aristote :
Tous participent [à la dialectique] d’une certaine manière, car tous, jusqu’à
un certain point, s’essaient à examiner et à soutenir un raisonnement… Bien
sûr, la plupart le font les uns au hasard, les autres grâce à un habitus développé
à travers une accoutumance. 926
Si tous procédaient au hasard, tantôt atteignant tantôt manquant le but, la
réflexion logique n’aurait pas de prise. Mais certains, grâce à quelque disposition,
naturelle d’abord, solidifiée ensuite dans l’expérience, réussissent plus
souvent qu’ils n’échouent. Il y a une raison à cela, et la découvrir est à la
portée de l'intelligence 927. De là, la méthode topique consistera à décrire, de
façon exacte, complète et ordonnée, les causes naturelles de réussite, pour les
arguments dialectiques, que sont les lieux. Il est clair, par suite, que la science
du lieu n’invente rien qui ne se trouve déjà dans l’activité dialectique naturelle.
Le mot de Locke s’étend au raisonnement dialectique : « Dieu a donné
aux hommes un esprit qui peut raisonner, sans être instruit des méthodes de
syllogiser. » 928 Les lieux existent d’abord et l’on s’en sert naturellement avant
qu’Aristote ou un autre n’en parle. Saisir, grâce à un lieu, que tels endoxes
infèrent tel propos est d’ailleurs beaucoup plus facile que de comprendre
distinctement le mécanisme de cette opération. La dialectique comme science,
donc, et spécialement comme science du lieu, décrit les lieux dont on se sert
déjà, pour en favoriser un usage plus efficace. Son rôle se compare à celui de
la grammaire qui, exprimant et ordonnant les règles déjà en usage dans le langage
ordinaire, en arrive à aider même le meilleur écrivain.
Ainsi, la distinction se fait-elle jour entre le lieu, critère naturel du choix
des prémisses, et la formulation logique déterminée qu’on lui donne quand on
en prend une conscience nette 929. Le rapport du second au premier est celui de
926Rhét., I, 1, 1354a3-7. Cité et commenté supra, 81.
927Voir Rhét., I, 1, 1354a7-11.
928Locke, An Essay concerning Human Understanding, c. 17.
929Il n’est pas nécessaire de connaître et de pouvoir réciter la formulation logique du lieu
pour argumenter. Sauf, doit-on préciser, dans les cas où la validité du lieu risque d’être mise
en question par l’interlocuteur. C’est ainsi qu’on trouve des discussions où Socrate fait
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