La Dialectique aristotélicienne, les principes clés des Topiques ...

Yvan Pelletier
La matière se multiplie encore, pour ainsi dire, si l’on considère les principes
de solution ; car des endoxes nombreux sont disponibles pour chaque problème.
Comment affronter méthodiquement l’infinité ? Comment chercher
efficacement la solution dialectique de tout problème posé ? L’adepte d’une
science particulière paraît en bien meilleure posture. Il s’attend à des
questions appropriées à un sujet nettement déterminé 1095 ; aussi, l’intelligence
marquée de l’habitus scientifique accède à une vue exhaustive de ses
principes. En dialectique, au contraire, toute question est légitime : on doit se
trouver en situation de discuter de n’importe quel problème. Comment cela
pourrait-il devenir possible ? On ne peut pas, dans une méthode, préciser
d’avance quoi dire en chaque occasion singulière : « Aucun art n'investigue le
singulier… Le singulier est infini et ne prête pas à science. » 1096 Toute
méthode doit englober le singulier dans une considération universelle pour
l’élever au domaine du connaissable et du prévisible 1097. Dans l’élaboration,
donc, d’une méthode qui rattache tout problème à l’endoxe, la difficulté
majeure consiste à réduire la multiplicité infinie des problèmes et des
arguments à un nombre limité.
Une technique de la discussion ne peut entrer dans le détail des discussions
possibles… La dialectique est, en ce sens, une “topique”, c'est-à-dire non un
savoir particulier, mais la définition d’un espace général de
l’argumentation. 1098
Quelle efficacité aurait l’instrument s’il découvrait et multipliait l’endoxe
pour l’entasser pêle-mêle dans la mémoire en une confusion qui rende
impossible d’y recourir immédiatement ? À quoi servirait l’accumulation
d’espèces, si adaptées soient-elles à guider le choix des endoxes dans la
constitution d’arguments, si aucun principe d’ordre ne permettait de reconnaître
tout de suite auxquelles s’adresser en chaque circonstance ? Enfin, à
1095 « On ne doit donc pas adresser toute demande à chaque savant, ni répondre à tout ce
qui est demandé sur chaque [chose], mais [s’en tenir] aux termes conformes à la science. »
(Sec. Anal., I, 12, 77b6-8)
1096 Rhét., I, 2, 1356b30-31.
1097 « La médecine, par exemple, [investigue] non pas ce qui est sain pour Socrate ou
Callias, mais pour celui ou ceux de tel type. » (Rhét., I, 2, 1356b31)
1098 Aubenque, La Dialectique chez Aristote, 10.
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