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Mars la bleue

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noires bril<strong>la</strong>nt malgré <strong>la</strong> poussière du mistral. Tels étaient ces<br />

vil<strong>la</strong>ges. Des enseignes de p<strong>la</strong>stique poussiéreuses, des façades<br />

dé<strong>la</strong>brées…<br />

Il oscil<strong>la</strong>it comme un pendule, passant du familier à<br />

l’étrange, du souvenir à l’oubli. Mais toujours plus seul. Dans un<br />

café, il commanda un cassis à l’eau et se rappe<strong>la</strong>, à <strong>la</strong> première<br />

gorgée, s’être assis dans ce même café, à cette même table. Avec<br />

Ève. Proust avait bien raison de reconnaître dans le goût le<br />

principal agent de <strong>la</strong> mémoire involontaire, parce que les<br />

souvenirs à long terme se logeaient ou du moins étaient<br />

organisés dans l’amygdale, juste au-dessus du bulbe olfactif qui<br />

gouvernait les centres du goût et de l’odorat. C’est pour ça que<br />

les odeurs étaient intensément liées aux souvenirs et au réseau<br />

émotionnel du système limbique, qui ondoyait entre les deux<br />

zones. D’où <strong>la</strong> séquence neurologique, l’odeur suscitant le<br />

souvenir qui suscitait <strong>la</strong> nostalgie. La nostalgie, le regret intense<br />

du passé, non point tant parce qu’il avait été merveilleux que<br />

parce qu’il avait été, tout simplement, et qu’il était maintenant<br />

enfui. Il se rappe<strong>la</strong> le visage d’Ève en train de lui parler, dans <strong>la</strong><br />

salle pleine de monde. Mais pas de ce qu’elle disait, ou des<br />

circonstances dans lesquelles ils s’étaient retrouvés là.<br />

Évidemment pas. Ce n’était qu’un moment isolé, un piquant de<br />

cactus, une image entrevue comme à <strong>la</strong> faveur d’un éc<strong>la</strong>ir et<br />

aussitôt disparue, avec tout ce qui l’entourait. Tous ses<br />

souvenirs étaient de cette espèce. Voilà ce que devenaient les<br />

souvenirs avec le temps : des éc<strong>la</strong>irs dans le noir, incohérents, à<br />

peu près dépourvus de signification et en même temps chargés<br />

d’une vague souffrance.<br />

Il sortit à pas lourds du café de son passé, reprit <strong>la</strong> voiture et<br />

rentra à l’hôtel en passant par Val<strong>la</strong>brix. Sous les grands<br />

p<strong>la</strong>tanes de Grand P<strong>la</strong>nas, il tourna sans réfléchir vers son mas<br />

en ruines. Il descendit de voiture et marcha vers <strong>la</strong> maison,<br />

comme si elle avait pu revenir à <strong>la</strong> vie. Mais c’était toujours <strong>la</strong><br />

même ruine poussiéreuse dans l’oliveraie. Alors il s’assit sur le<br />

mur, sans penser à rien.<br />

Cet autre Michel Duval avait cessé d’être. Celui-ci<br />

disparaîtrait aussi. Il connaîtrait d’autres incarnations et<br />

oublierait ce moment-ci, oui, même cet instant d’une douleur<br />

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