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Mars la bleue

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corniche, pour regarder le soleil ricocher sur l’eau. C’était bon<br />

de se retrouver à Odessa, mais <strong>la</strong> mort de Spencer <strong>la</strong> g<strong>la</strong>çait plus<br />

qu’elle n’aurait cru. Elle jetait un voile sur <strong>la</strong> beauté de cette<br />

ville, <strong>la</strong> plus belle de toutes. Elle lui rappe<strong>la</strong>it qu’en revenant<br />

s’installer ici, dans le vieux bâtiment, ils tentaient l’impossible :<br />

ils essayaient de revenir en arrière, de nier le passage du temps.<br />

C’était sans espoir. Tout passait, tout ce qu’ils faisaient, ils le<br />

faisaient pour <strong>la</strong> dernière fois. Les habitudes étaient<br />

mystificatrices, elles les enfermaient dans le sentiment que les<br />

choses étaient durables alors que rien ne durait. Elle s’asseyait<br />

sur ce banc pour <strong>la</strong> dernière fois. Si elle revenait demain sur <strong>la</strong><br />

corniche et se rasseyait sur le même banc, ce serait encore <strong>la</strong><br />

dernière fois, et rien n’en resterait. Une dernière fois après<br />

l’autre, ainsi al<strong>la</strong>it <strong>la</strong> vie, un dernier moment après l’autre, en<br />

une succession ininterrompue. Insaisissable. Impossible à<br />

exprimer par des mots, par des idées. Mais elle <strong>la</strong> percevait,<br />

comme une vague irrésistible, ou un vent incessant dans son<br />

esprit, poussant les choses, les précipitant si vite en avant<br />

qu’elle avait du mal à réfléchir, à éprouver vraiment les choses.<br />

Au lit, <strong>la</strong> nuit, elle pensait, c’est <strong>la</strong> dernière fois pour<br />

aujourd’hui, et elle serrait Michel contre elle, comme si ça<br />

pouvait empêcher les choses d’arriver. Même Michel, même le<br />

petit duo qu’ils avaient bâti.<br />

— Oh, Michel, disait-elle, terrifiée, ça va si vite.<br />

Il acquiesçait, faisait <strong>la</strong> moue. Il avait renoncé à lui faire<br />

suivre une thérapie ou à lui peindre <strong>la</strong> vie en rose. Il <strong>la</strong> traitait<br />

en égale, maintenant, et considérait ses états d’âme comme une<br />

espèce de vérité, ce qui n’était que normal. Mais le réconfort lui<br />

manquait parfois.<br />

Or Michel ne cherchait pas à <strong>la</strong> contredire, à lui apporter une<br />

vision optimiste. Spencer avait été son ami. Avant, à Odessa<br />

déjà, quand ils se bagarraient, Maya et lui, il al<strong>la</strong>it parfois<br />

dormir chez Spencer, et sans doute par<strong>la</strong>ient-ils toute <strong>la</strong> nuit en<br />

buvant du whisky. Si quelqu’un pouvait faire sortir Spencer de<br />

sa coquille, c’était bien Michel. Et maintenant, il était assis sur<br />

le lit, un vieil homme fatigué qui regardait par <strong>la</strong> fenêtre. Ils ne<br />

se disputaient plus. Maya avait l’impression que ce<strong>la</strong> lui ferait<br />

du bien, que ce<strong>la</strong> chasserait les toiles d’araignée. Mais Michel ne<br />

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