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BELLE-ROSE

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quart d’heure, Suzanne entendit rouler la voiture qui l’avait<br />

amenée ; elle donna par la pensée un dernier adieu aux choses<br />

de la vie qui la fuyaient, et suivit une sœur qui vint la chercher.<br />

Le parloir du couvent était coupé en deux par une grille dont les<br />

mailles étaient couvertes d’un rideau de serge noire ; un banc<br />

régnait tout autour de cette pièce assez grande, et percée de<br />

trois fenêtres à châssis de plomb, d’où le jour tombait assombri.<br />

On voyait contre le mur un fort beau tableau représentant la<br />

vierge Marie visitée par l’ange. C’était, avec une belle image du<br />

Christ taillée dans l’ivoire, le seul ornement qu’il y eût dans<br />

cette pièce. L’usage des dames bénédictines était de rester voilées<br />

et de ne pas se montrer aux personnes qui n’étaient pas<br />

dans les ordres ; mais, sur la lettre de M. de Louvois, qui lui<br />

marquait que M me d’Albergotti devait être traitée selon les règles<br />

de la maison durant tout le séjour qu’elle y ferait, la supérieure<br />

enleva son voile pour recevoir sa nouvelle pensionnaire.<br />

La supérieure du couvent des dames bénédictines était une<br />

femme de quarante-cinq à cinquante ans à peu près, qui avait<br />

dû être belle, mais que les austérités de la religion et les combats<br />

d’un esprit jaloux avaient privée de cette grâce qui est une<br />

seconde beauté. Son visage était jaune comme le vieil ivoire, ses<br />

yeux noirs et perçants, ses sourcils nets, ses lèvres minces et<br />

décolorées ; l’air de son visage exprimait l’habitude de l’autorité,<br />

mais d’une autorité sèche et froide. Elle avait les mains belles et<br />

la taille élancée ; mais quelque chose d’étrangement dur et de<br />

hautain détruisait les avantages naturels qui paraient sa personne.<br />

La supérieure des dames bénédictines, qui s’appelait,<br />

entre les murs du couvent, mère Évangélique du Cœur-de-<br />

Marie, avait été connue dans le monde sous le nom de<br />

M me de Riége. C’était une créature de M. de Louvois. Issue d’une<br />

famille obscure de la Manche, elle avait dû à son esprit<br />

d’intrigue de se pousser dans le monde, où quelque temps elle<br />

avait fait une certaine figure. À la suite d’une affaire de cour où<br />

son cœur était intéressé, le dépit la fit entrer dans les ordres. Le<br />

crédit de M. de Louvois l’y suivit, elle lui dut son élection et lui<br />

resta dévouée. Mais la plaie que l’insuccès de son entreprise<br />

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