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BELLE-ROSE

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acontait tout ce qu’on disait à Versailles et à Chantilly des projets<br />

du roi ; il lui parlait des camps qui s’asseyaient aux bords de<br />

la Sambre et de l’enivrement qui gagnait de proche en proche la<br />

chaumière et le château. L’enthousiasme était partout. Chaque<br />

jour augmentait la fièvre qui consumait Belle-Rose. Dans le silence<br />

de ses rêveries, il se demandait s’il était destiné à vieillir et<br />

à mourir dans l’obscurité d’une abbaye, s’il ne devait pas compte<br />

de sa jeunesse et de sa vie à la France, si l’épée que<br />

M. de Nancrais lui avait passée à la ceinture était condamnée à<br />

rester au fourreau, et s’il ne valait pas mieux être tué tout d’un<br />

coup que d’attendre patiemment des jours oisifs et l’oubli. Dans<br />

la position que lui avaient faite les événements, le repos le perdait.<br />

M. de Louvois n’était pas de ces hommes en qui le temps<br />

use la mémoire ; pour combattre et vaincre sa force, il fallait une<br />

force rivale ; la lutte pourrait dompter, sinon détruire sa haine.<br />

Belle-Rose se souvenait avec un trouble délicieux des émotions<br />

et des hasards de la guerre ; il voyait passer devant ses yeux<br />

l’image animée et bruyante des camps, il entendait hennir les<br />

chevaux et sonner les trompettes. L’armée était sa famille, et la<br />

guerre sa patrie. Il avait voulu conquérir par l’épée un nom et sa<br />

place au grand jour ; devait-il s’arrêter au début de sa carrière et<br />

se coucher dans l’oisiveté comme dans un linceul La Déroute<br />

se mordait les poings aux récits anticipés de cette guerre dont<br />

toutes les imaginations étaient préoccupées ; il estimait le sort<br />

des recrues le plus heureux du monde, et aurait donné de grand<br />

cœur sa hallebarde de sergent pour avoir le droit de marcher<br />

aux frontières ; Grippard faisait chorus avec la Déroute, oubliant<br />

qu’il avait quitté le régiment pour vivre de ses petites rentes.<br />

Quand la conversation tombait sur les campagnes, terrain<br />

qu’au demeurant elle n’abandonnait guère, Grippard se souvenait<br />

bien du froid qu’on souffre au bivouac, de la pluie et des<br />

marches forcées avec cinquante livres sur le dos, des biscaïens<br />

qui brisent les jambes, des boulets qui coupent le corps en deux,<br />

des coups de sabre et de la mitraille, de la faim qu’on endure ;<br />

mais il finissait toujours par trouver que la Déroute avait raison,<br />

et ne parlait rien moins que de conquérir le saint-empire. Belle-<br />

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