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Il m’était impossible de pleurer ouvertement la mort de<br />

Jean. Celle de Betty, je pouvais. Je pouvais détourner la honte<br />

d’un désir incestueux vers un objet de désir sans danger. De<br />

mon cœur d’enfant insensible, je pouvais rejeter Jean aux<br />

oubliettes et accorder à Betty amour et dévotion.<br />

Jean m’a conduit à Betty. Betty m’a conduit à Jean. La<br />

fusion initiale a été brève et brutale. La forme qu’elle a prise, ce<br />

long processus soutenu, a fini par perdre de son intensité. C’est<br />

devenu une chanson sentimentale, sans crescendo ni accord en<br />

diminuendo. C’est un passage obligé de près de cinquante ans<br />

qui exige ces derniers mots d’explication.<br />

J’ai passé les sept années qui ont suivi en compagnie de<br />

mon père. Pour lui plaire, j’ai sali la réputation de ma mère. En<br />

grandissant, je suis devenu obsédé par les femmes. Je hantais<br />

les quartiers riches et épiais les familles heureuses dans leurs<br />

grandes maisons. Je me dévidais des fantasmes centrés sur<br />

Betty Short. Je me voyais dans les rôles de sauveur et de<br />

vengeur. Je pénétrais dans les maisons et fouillais les tiroirs de<br />

dessous féminins. J’étais né pour avoir une idée fixe et vivre<br />

dans l’obsession. Jean. Betty. Le sexe. Le crime et tous ses<br />

corollaires sociaux. Les étonnantes conjonctions d’un amour<br />

romanesque et profond Ŕ sans espoir et plein d’espoir Ŕ chez<br />

des hommes et des femmes durs et opiniâtres.<br />

Mon père est décédé en 1965. Les douze années qui ont<br />

suivi, je les ai passées dans une spirale aux frontières de la folie.<br />

A vingt-neuf ans, j’ai tout arrêté. J’ai écrit six bons romans et<br />

fait exploser Betty et Jean avec Le Dahlia noir.<br />

C’était une ode salutaire à la mémoire d’Elizabeth Short et<br />

un hommage intéressé à ma mère, une embrassade de pure<br />

forme. Lors de mes apparitions dans les médias, j’ai volontiers<br />

admis la confluence Jean-Betty et l’ai exploitée pour vendre des<br />

livres. À première vue impressionnant, mon grand numéro<br />

n’était, à y repenser, que du bagout de beau parleur. J’ai réduit<br />

ma mère à des phrases à l’emporte-pièce, je l’ai emballée et<br />

servie comme une marchandise de gros. Ce n’est que des années<br />

plus tard que j’ai déterminé la cause de mon comportement<br />

dénué de pitié.<br />

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