Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Index of - Free

seigneur » 268 , témoigne de l’évolution des valeurs politiques qui se produit vers 1200. À
cette date, la notion de patria ne recouvrait plus l’idée antique mêlant des valeurs
morales, éthiques, religieuses et politiques auxquelles un homme pouvait tenir au point
de vivre et de mourir pour elles 269 . La patria médiévale investissait une dimension
territoriale et s’opposait plus clairement à l’origine (origo) qui renvoyait à la
temporalité, à l’ancestralité du lien, plutôt qu’à son lieu 270 . Cette tendance s’observe à
travers l’usage de plus en plus répandu de la notion de patria communis pour désigner la
Chrétienté 271 . Selon Ernest Kantorowicz, les occurrences les plus fréquentes de pro
defensione patria se rencontrent surtout dans les justifications pour lever des fonds pour
financer la croisade et défendre la Terre Sainte, avant d’être intégrées au discours de la
monarchie française au XIII e siècle 272 . La défense de la patria communis, parce qu’il
s’agissait d’une guerre juste, fut ainsi rapidement associée à la notion de nécessité puis
de ratio, qui sous-tend l’idée de raison d’État, que l’on retrouve plus souvent dans les
cercles proches du roi, sous le règne de Jean 273 .
En même temps, la dimension territoriale de la notion de patria est également
fréquente dans les occurrences du terme relatives aux coutumes normandes ou
angevines au XI e siècle (ex more loci vel patriae) 274 ou dans les chartes royales. Dans le
traité passé en 1160 avec Louis VII, à la suite de l’expédition en Toulousain, par
268 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000
[1957], p. 818, note 125 cite POST, G., « Two Notes on Nationalism in the Middle Ages : I. Pugna pro
patria, II. Rex Imperator », Traditio, 9 (1953), p. 281-320 , p. 288 note 13 qui cite Johannes Teutonicus et
d’autres.
269 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000
[1957], p. 817.
270 KANTOROWICZ, E. H., « Pro patria mori in medieval political thought », The American Historical
Review, 56: 3 (1951), p. 472-492 montre que la patria renvoie plutôt à la cité de Rome et à la république
qu’au territoire de l’empire; THOMAS, Y., Origine et commune patrie. Étude de droit public romain 89
av. J.-C.-212 ap. J.-C. 1996 ; Pour Dominique Iogna-Prat cette opposition se déplace au Moyen Âge entre
la patria propria qui renvoie à la gens, et la patria communis qui tend à désigner l’espace de l’Empire
puis celui des royaumes. IOGNA-PRAT, D., « Constructions chrétiennes d’un espace politique », Le
Moyen Âge, 107 (2001), p. 49-69; KRYNEN, J., L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France,
XIIIe-XVe siècle, 1993.
271 IOGNA-PRAT, D., « Constructions chrétiennes d’un espace politique », Le Moyen Âge, 107 (2001), p.
49-69.
272 Acta Richard, (1022R, 1023R, 1029R) ; KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la
théologie politique au Moyen âge, 2000 [1957], p. 819 ; KANTOROWICZ, E. H., « Kingship under the
impact of scientific jurisprudence », dans Twelfth-Century Europe and the Foundations of Modern
Society, 1961.
273 POST, G., « Ratio Publicae Utilitatis, Ratio Status and "Reason of State », 1100-1300 », dans Studies
in Medieval Legal thought Public Law and the State, 1100-1322, 1964, p. 241-309; TURNER, R. V.,
« King John's concept of royal authority », History of Political Thought, 17: 2 (1996), p. 157-178.
274 THIREAU, J. L., « La territorialité des coutumes au Moyen Âge », dans Auctoritas. Mélanges offerts à
Olivier Guillot, 2006, p. 453-465, citation extraite de MARCHEGAY, P., « Les prieurés de Marmoutier
en Anjou, chartes de Montjean », Archives d'Anjou, 2: 1 (1853), p. 74-75.
288