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l’ouvrage de Henri Lefebvre, La production de l’espace (1974) – et surtout à partir de sa
traduction anglaise en 1991. Le terme cessa ainsi d’avoir un sens strictement
géométrique et prit progressivement de nouveaux usages et de nouveaux attributs 257 .
En même temps que se formait l’idée qu’il existait un « régime de spatialité »
propre au Moyen Âge, la question du territoire et de la territorialité médiévale devint
également une problématique croissante chez les historiens ruralistes, sous l’influence
des archéologues plus attentifs à l’évolution du paradigme territorial des géographes 258 .
La question de la perception de l’espace géographique qu’un historien comme Charles
Higounet qualifiait à la fin des années 1980 de « lancinante », mais sans réponse
vraiment satisfaisante, devient donc de plus en plus centrale 259 . L’essor de ces
questionnements permet notamment l’éclaircissement des distinctions entre « l’espace »
et le « territoire ». Jacques Revel et Daniel Nordman par exemple, formulent cette
distinction en opposant l’espace, en tant que principe s’organisant « selon des lois
intrinsèques », du territoire, défini comme un espace « agencé par la volonté du
prince » 260 ou plus localement des communautés humaines qui l’occupent : « Tandis
que dans l’espace, les phénomènes interfèrent, se chevauchent selon des plans qui se
superposent, un territoire se différencie de tous les autres sur un plan unique. Il requiert
la clôture ». Le territoire apparaît alors comme un concept heuristique pour les sciences
sociales permettant d’introduire les logiques d’acteurs dans l’analyse de la spatialisation
du social 261 . Pour les historiens du Moyen Âge, il s’agissait d’abord de mettre à distance
cette notion imprégnée par plusieurs siècles de politiques étatiques et de discours sur la
257 HANAWALT, B. A. et KOBIALKA, M. (eds.), Medieval practices of space, 2000, p. 1 voir
notamment les études du centre des Medieval Studies de l’université du Minnesota.
258 OZOUF-MARIGNIER, M. V., « Le territoire, la géographie et les sciences sociales: aperçu
historiques et épistémologiques », dans Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et
perspectives, 2009, p. 31-35 pense néanmoins qu’il n’y a pas eu de territorial turn dans la mesure où le
concept de territoire n’a pas réellement dépassé le champ de la géographie ni imprégné les autres sciences
sociales. Pour SÉCHET, R. et KEERLE, R., « Petite histoire de délicatesses de "l'équipe-de-géographiesociale-de-la-France-de-l'Ouest"
avec le territoire », dans Territoires, territorialité, territorialisation.
Controverses et perspectives, 2009, p. 83-93 le succès du concept de territoire chez les géographes est lié
à la volonté d’inscrire la géographie dans les sciences sociales et lui donner une légimité alors que cellesci
vivaient un spatial turn. Voir aussi RIPOLL, F. et VESCHAMBRE, V., « Le territoire des géographes:
quelques points de repères sur les usages contemporains », dans Les territoires du médiéviste, 2005, p.
271-291.
259 HIGOUNET, C., « A propos de la perception de l'espace au Moyen Âge », dans Media in Francia,
recueil de mélanges offerts à Karl Ferdinand Werner pour son 65e anniversaire, 1989, p. 257-268.
260 NORDMAN, D. et REVEL, J., « La formation de l'espace français », dans Histoire de la France. 1.
L'espace français, 2000 (1989), p. 39-209, notamment p. 40-41.
261 OZOUF-MARIGNIER, M. V., « Le territoire, la géographie et les sciences sociales: aperçu
historiques et épistémologiques », dans Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et
perspectives, 2009, p. 31-35.
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