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l’ambiguïté sur l’identité collective des élites s’atténue, tandis que se renforce le
sentiment de l’anglicité de l’aristocratie en Angleterre et de la normanitas de l’autre
coté de la Manche. La rédaction de grandes gestes comme le Roman de Rou, commencé
par Robert Wace et achevé par Benoît de Sainte-Maure participe également à la
formation d’une mémoire historique du peuple normand en exaltant la mémoire de
Rollon, le fondateur du duché 36 . La territorialité des patriae qui composaient l’empire
des Plantagenêt reposait ainsi sur le sentiment d’appartenance à une même gens
possédant une histoire commune et à un même territoire structuré par un réseau de lieux
sacrés polarisés par le culte des saints. Dans cette perspective, la superposition entre
patria et diocèse contribue vraisemblablement au processus de territorialisation de ces
deux entités au cours du XII e siècle 37 . En Normandie, par exemple, les limites du duché
coïncidaient presque parfaitement avec elles de la province ecclésiastique de Rouen, ce
qui n’est pas le cas dans le reste de l’empire 38 . Or, la question des délimitations
ecclésiastiques constituait un enjeu dans la territorialisation du pouvoir laïque, comme
le montrent les différentes tentatives qu’Henri II mène en Bretagne, pour autonomiser
l’évêché de Dol de la tutelle de Tours et en Aquitaine, pour prendre la main sur la
primatie de Bourges, tous deux sous influence capétienne (voir chapitre 2).
En 1177, le vol des reliques de saint Pétroc par un moine breton constitue un
événement au cours duquel Henri II a l’occasion d’affirmer de son autorité sur
l’organisation de la sacralité des cultes en Bretagne 39 . Selon Roger de Hoveden, en
effet :
Cette année là, Martin, un chanoine régulier de l’église de Bodmin
(en Cornouailles) vola les reliques de saint Pétroc et les déposa dans
l’abbaye de Saint-Méen en Bretagne. 40
Aussitôt, Henri II ordonne à son sénéchal de Bretagne de retourner les reliques
au monastère anglais, ne conservant qu’une côte qu’il fait déposer dans une châsse
36
ROBERT WACE, Le Roman de Rou, 1970-1974; DAMIAN-GRINT, P., « Benoît de Sainte-Maure et
l'idéologie des Plantagenêt », dans Plantagenêts et Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 413-
427.
37
MAZEL, F. (éd.), L'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident médiéval (Ve-XIIIe
siècle), 2008.
38
POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004.
39
GROSJEAN, P., « De Reliquiarium Furto: De corpore Sancti Petroci furato et restituto. Vies et
miracles de S. Petroc I. Le dossier du manuscrit de Gotha », Annalecta Bollandiana, 74 (1956), p. 131-
188; EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 51-58 ;
JANKULAK, K., The medieval cult of St Petroc, 2000.
40
HOVEDEN, II, p. 136. Eodem anno Martinus canonicus regularis ecclesiae de Bomine furtive
asportavit corpus Sancti Petroci et fugiens secum detulit in Britanniam ad abbatiam Sancti Mevenni.
427