L'engagement dans les soins infirmiers - Université de Rouen

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES
que c’est là la cause de son « abandon » de la pratique au profit de l’enseignement.
L’écart entre ses valeurs personnelles et la pratique l’avait entraînée vers une grande
frustration, se traduisant par l’épuisement et le souhait de s’éloigner d’un milieu
devenu pathogène (T4). C’est une tension qui s’accumule peu à peu, jusqu’à avoir
des conséquences graves.
Or cette tension entre les valeurs individuelles, et les valeurs telles qu’elles
peuvent être vécues dans les soins, tend à augmenter. Ainsi, alors que le respect est
considéré comme la valeur première à observer, son devenir est parfois compromis :
« On a plus le choix, en tout cas, on ne peut plus respecter l’autre à 100%
dans ses choix ou dans ses valeurs parce qu’on a d’autr es règles ou normes
qui nous imposent le contraire (E15)». Un défaut de respect qui pèse parfois
lourd sur la conscience des soignants qui en connaissent les conséquences : « Si on
doit sortir un patient, nous on sait que ce patient… n’est pas prêt à sorti r,
mais puisqu’il faut libérer le lit, en fait nous, ce patient on l’enlève et il
rentre (P3) ». Et l’on voit poindre une frustration importante chez des
professionnels qui doivent gérer des situations délicates et disposent des
connaissances pour savoir ce qu’il y aurait lieu de faire, sans pour autant y être
habilités : « Moi en tant qu’infirmier, je sais ce qu’il faut faire, ce qui faut lui
donner je le sais, mais puisque c’est pas prescrit, je peux pas le faire donc
j’attends le médecin (P3)». Ce même infirmier décrit le contexte institutionnel
dans lequel il pratique, en expliquant la rareté grandissante de médecins formés au
profit d’internes souvent complètement dépassés, insécures face à leur manque
d’expérience et par conséquent peu prompts à répondre aux appels des soignants qui,
eux, doivent faire face aux souffrances et interrogations des patients (P3). La
spécificité de la position de l’infirmière dans l’équipe est relevée à plusieurs reprises
comme un lieu de tensions entre des valeurs parfois assez divergentes, par exemple
sur la place et l’importance de la dimension relationnelle dans la prise en charge du
patient : « Sur le plan relationnel, on dit toujours qu’une infirmière est entre
deux chaises, entre le médecin et le patient, c’est vraimen t l’intermédiaire…
c’est aussi quelqu’un qui n’est ni tout à fait le patient ni le médecin non
plus…(T10) ». Les infirmières, « elles veulent agir en fonction de leurs valeurs,
317