L'engagement dans les soins infirmiers - Université de Rouen

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES
de vie et sociétal qui a fortement évolué lui aussi (T12). Plus délicate encore est la
confrontation avec la question de l’honnêteté des collègues, c’est-à-dire entre les
valeurs qu’ils affichent oralement et leur incarnation ou non dans la pratique (T13).
Enfin, le conflit sans doute le plus fréquent et le plus problématique qui habite
le monde des soins, comme d’ailleurs de nombreux milieux professionnels, reste le
conflit lié à l’exercice même de la profession dans son contexte. Nous reviendrons
largement sur ce point dans notre analyse ultérieure, mais nous pouvons déjà
nommer l’organisation du travail comme un lieu de souffrance particulièrement aigu
chez les soignants qui ont, de plus en plus, l’impression d’être quasiment confinés à
une posture de fonctionnement, régulée, voire taylorisée, pour être le plus efficients
possible, au détriment d’une individualisation des soins et de la relation au patient,
ce qui pourtant, comme nous l’avons vu, constitue incontestablement la valeur
prioritaire pour une grande partie d’entre eux (E22). Une professionnelle s’insurge :
« on est quand même que des êtres humains, il faut arrêter. Le système, il
veut nous faire aller comme des robots et on est quand même toujours tous,
que des êtres humains autant les patients que les soignants, hein ? Pas les
dirigeants visiblement, mais bon tant pis (P10) ».
Pour contrevenir à cette problématique, certains professionnels n’hésitent pas à
nous avouer qu’ils sont appelés à frauder, au sens où l’entend Dejours (2008)
lorsqu’il évoque la souffrance au travail : « je fraude un peu pour être un peu
plus en cohérence avec ce que je veux (T13) ». Mais quelle est alors l’adéquation
avec leur éthique personnelle et professionnelle ?
Les conséquences sont lourdes pour ceux qui vivent cette lutte intérieure sur le
long terme. Certains nomment plutôt une souffrance personnelle, du regret et une
déception de ne pas « faire du bon boulot (E2)», de faire le minimum, ce qui, sur
la durée, génère la frustration et l’épuisement (E13). Mais d’autres évoquent les
risques de maltraitance et d’agression que ce conflit intérieur peut faire germer (E13),
lorsque l’on met trop longtemps le couvercle sur la marmite de ses valeurs et que la
pression monte : « si on est en lutte perpétuelle… il y a un moment où ça finit
par craquer (P1) ». Et un praticien nous parle de soignants qui étaient de très bons
professionnels, à la fois sur le plan technique mais également sur le plan relationnel,
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