L'engagement dans les soins infirmiers - Université de Rouen

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES
revenus, de vivre leur dernière période de vie dans une maison de retraite en Croatie,
sans en connaître même la langue ? Il y aurait presque quelque chose d’ubuesque à
cette proposition, si elle ne nous plaçait pas face à l’évidence même de la
déshumanisation, lorsqu’une personne se voit ainsi implicitement accusée d’être une
trop lourde charge pour la société, ce qui justifie qu’on l’exporte vers l’étranger
comme une marchandise de moindre valeur, voire sans valeur. Et une économiste de
clamer son inquiétude face à cette forme de « pensée utilitariste de l’économie », à
savoir « l’absence de la souffrance humaine, de la vulnérabilité de chaque être
humain et de la question des droits de l’homme dans le discours sur
l’économie de la santé » (Madörin citée par Camenzind, 2012, p.51). Nous devons
nous défendre contre l’impérialisme d’un monde économique pour lequel l’homme
n’a plus qu’une valeur marchande, selon la réduction béhavioriste dont l’accuse Le
Goff (2000) en évoquant la conception instrumentaliste de l’être humain. Les données
récoltées ne font que confirmer largement cette tendance à une réification de
l’humain, entrevu sous un angle unifocal de productivité. La souffrance exprimée
par cette négation de soi comme soignant, devenu « soi-nié » par le système, n’a pour
écho que le désarroi devant un système de santé qui réduit le soin à un acte
marchand, décontextualisé de toute consistance relationnelle. C’est même la
dimension simplement humaine qui est bafouée, comme l’exprime cette praticienne
expliquant qu’elle a quitté l’hôpital révoltée car « un patient n’est pas un bout de
viande que l’on balance sur un lit et qu’on retourne dans tous les sens sans
veiller à son confort (P11) ». La tension aura été trop difficile à supporter pour
cette professionnelle frappée par « l’antagonisme entre logiques managériales et
professionnalisme » (Belorgey, 2010, p.215).
Si cette professionnelle est partie vers le secteur extra hospitalier, c’est parce
qu’elle ne pouvait plus trouver de sens à sa pratique. Le sens, suivi de la motivation
et de l’engagement qui en résulte, sont tous trois intimement liés aux valeurs du
soignant (P2, P7). Dès lors que ces valeurs sont bafouées, le sens est discrédité et, au-
delà de l’activité du professionnel, c’est son identité qui est également remise en
question. Il s’agit donc à présent de se poser la question du rôle que peut jouer la
formation sur cette construction de sens. Cette question est d’autant plus importante
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