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texto y sociedad en las letras francesas y francófonas

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pass<strong>en</strong>t toujours, malheureusem<strong>en</strong>t, au devant de toute fidélité. Pourquoi nous empêcher<br />

de continuer à vivre heureux, dans cette bulle appelée "inconsci<strong>en</strong>ce" qui nous<br />

sauvegarde ?<br />

Ce que nous avons exposé jusqu’ici, on la bi<strong>en</strong> vu, ne concernerait pas que la<br />

femme. Dans les bateaux des négriers et dans les plantations hommes et femmes ont<br />

connu, de même, l’injustice, la barbarie, l’indiffér<strong>en</strong>ce, le fouet et la faim, la crasse et la<br />

vermine... Mais, pour des raisons qui nous sont bi<strong>en</strong> connues, le femme <strong>en</strong> a toujours<br />

remporté le plus grand lot. Comme le dira Flore, les images d’Emma "tiss<strong>en</strong>t pour [elle]<br />

la toile d’un univers sur lequel [elle] n’avait jamais ouvert les yeux auparavant. Un<br />

monde où la brutalité a toujours fait loi" (p. 63), et de cet univers, la négresse (la<br />

femme) <strong>en</strong> a été la chose la plus méprisée, la moins considérée : bête de somme, objet<br />

du désir de l’homme, porteuse d’<strong>en</strong>fants pour que la colonie ne meure.<br />

Emma me projette dans cet océan opaque de l’id<strong>en</strong>tité niée. Avec elle, j’ai <strong>en</strong>trepris<br />

un long et pénible voyage dans la cale d’un navire, dans l’<strong>en</strong>fer des plantations, je<br />

suffoque ; esclave marronne, j’ai à mes trousses des meutes de chi<strong>en</strong>s affamés… Je<br />

parcours les rives du Mississipi, découvre des nègres p<strong>en</strong>dus aux branches des<br />

sycomores. Je vois Billie Holiday, agonisante, sur les trottoirs de la blanche<br />

Amérique construite de sueur et de sang noirs et, dans mon sommeil, sa voix<br />

lancinante ne me quitte pas… strange fruit, strange fruit, dit sa chanson. Ne<br />

sommes nous pas ces fruits étranges qui ne surviv<strong>en</strong>t que grâce à l’indiffér<strong>en</strong>ce ?<br />

(pp. 63-64)<br />

Le livre d’Emma est de ces romans qui ne peuv<strong>en</strong>t pas nous laisser indiffér<strong>en</strong>ts.<br />

Ces pages accus<strong>en</strong>t bel et bi<strong>en</strong> ce vieux monde, la société des bi<strong>en</strong> portants. Se peut-il,<br />

comme le dit Flore, que nous soyons un de ces fruits étranges qui ne viv<strong>en</strong>t que grâce à<br />

l’indiffér<strong>en</strong>ce… ? Indiffér<strong>en</strong>ce pour ce qui est à l’origine de notre condition sociale,<br />

indiffér<strong>en</strong>ce vis-à-vis de l’autre sous un masque de protection, de compréh<strong>en</strong>sion, de<br />

solidarité… Indiffér<strong>en</strong>ce face au sort de ce pauvre diable qui est accusé parce que sa<br />

condition de paria, de marginal l’a am<strong>en</strong>é à transgresser les normes. Indiffér<strong>en</strong>ce de tous<br />

ces fous que notre société fabrique, de ces emmas qui ont perdu même la seule chose<br />

qui leur restait, le rêve, <strong>en</strong> <strong>en</strong>trant dans les hôpitaux psychiatriques :<br />

Tu sais, Flore, il m’arrive d’appeler à mon secours Kilima, Célie, Emma avant moi,<br />

puis Rosa, ces marronnes éternelles. J’implore leur mémoire, elles sauront me<br />

guider, je me dis, mais je ne les vois point. Souv<strong>en</strong>t, je regarde le fleuve avec<br />

l’espoir de les voir apparaître. Le soir, je me couche très tôt, pour retrouver mes<br />

rêves et ma grand-mère Rosa. Mais les rêves me fui<strong>en</strong>t, Flore, depuis que je suis<br />

<strong>en</strong>fermée ici. Je ne rêve plus. Je ne rêve plus du tout. En m’<strong>en</strong>fermant ici, ils sont<br />

vraim<strong>en</strong>t parv<strong>en</strong>us à me ravir mon âme. (p. 157)<br />

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