13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

128

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

de bien maigres chances d’aboutir ? Dans ces conditions, on assiste à

une véritable quête de sécurité : c’est par exemple celle du P. Lagrange,

soucieux d’obtenir une reconnaissance d’utilité publique pour l’École

biblique 16 . Cette recherche d’assurances découle également de considérations

matérielles : lorsque le climat français est malsain, comment

une congrégation peut-elle bénéficier de fonds exceptionnels, les

allocations habituelles ne suffisant pas à mener à bien sa tâche ? Tout

ceci, quand les mesures anticléricales ne provoquent pas chez les

congréganistes français de Palestine des angoisses existentielles : en

dépit des conventions signées entre la République et les congrégations,

les religieux qui sont en charge d’un domaine national, Bénédictins à

Abou Gosh et Pères Blancs à Sainte-Anne, ne risquent-ils pas d’en être

expulsés ? Dans ces conditions, les congrégations ne doivent-elles pas

retirer de ce contexte une leçon historique, en acquérant plus d’indépendance

à l’égard de leurs autorités politiques de tutelle, qui passe par

la quête d’une rentabilité très terrestre ? Interrogations d’autant plus

impérieuses qu’elles sont, dans un premier temps, sans issue véritable :

ce sont bien ces mêmes autorités françaises qui, au nom du protectorat

et des acquis de droit international (Mytilène), permettent à ces congrégations

françaises d’être en Palestine exonérées de taxe, et donc de

poursuivre leurs activités… 17

L’impact principal de la législation anticléricale française sur la

présence française en Palestine est toutefois ailleurs. On constate, en

effet, assez rapidement une concrétisation de ce que certains diplomates

avaient dès le départ redouté, à savoir la baisse du recrutement des

congrégations présentes en Palestine, conséquence des interdictions qui

leur sont opposées en métropole. Jean Doulcet, rédacteur à la direction

des Affaires politiques du ministère des Affaires étrangères, évoque dès

le début du XX e siècle certaines perspectives redoutables pour le long

terme. Il en va, par exemple, des Franciscains, dont on sait quelle est leur

importance du point de vue français, avec la primauté de la Custodie de

Terre sainte dans le très symbolique gardiennage des Lieux saints :

La suppression des noviciats franciscains [due à l’interdiction française]

entraînerait la disparition dans la Custodie de l’élément français qui y est déjà

si peu représenté et de la langue française qui y est enseignée dans toutes les

écoles. Au point de vue de notre influence politique en Orient, il est essentiel

16. Archives de Saint-Étienne de Jérusalem (par la suite : ASEJ), papiers Lagrange,

Carton n° 4 : 2. Diverses lettres reçues par le P. Lagrange (1 à 30), lettre de M. Leroy-

Beaulieu (École libre des sciences politiques) à Lagrange, 30 octobre 1909 (citée in Une

École française à Jérusalem, op. cit., p. 44).

17. Les arrangements fiscaux bénéficiant aux congrégations accordés par les Ottomans,

compris dans les clauses de Mytilène et Constantinople, sont reconduits par les Anglais.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!