13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LES RÉFORMES DE L’UNIVERSITÉ D’AL-AZHAR 541

sairement le signe d’une incapacité à innover intellectuellement et de

comprendre les défis du moment, puisqu’ils participent d’une façon ou

d’une autre aux débats importants de l’époque. On peut dire que leur

attitude participe d’une volonté de sauvegarder l’existence de leur

institution, d’une part, et d’un désir de résistance face aux interventions

de l’État modernisateur, d’autre part.

UNE POLITIQUE COLONIALE MUSULMANE ?

Quel rôle joue alors la puissance britannique dans ces tentatives de

réformes de la fin du XIX e siècle ? Peut-on parler d’une politique

« musulmane » de la Grande-Bretagne dans ce processus de modernisation,

à l’instar de ce que la France mit en place au Maghreb ? Le rapport

que les Britanniques construisent avec al-Azhar consiste dans une

stratégie de contournement, plutôt que d’une véritable politique vis-àvis

de l’institution et de ses membres. Sur ce point, les khédives ont une

certaine marge de manœuvre, et on assiste plus à une relation triangulaire

qui se recompose au gré des circonstances — comme le montre

l’évolution des relations entre Mohammed Abdouh et les Anglais, qui

finiront par soutenir ses projets de réforme à la toute fin du XIX e siècle

— qu’à une relation d’opposition entre deux camps antagonistes.

S’il n’y a pas de grande politique « musulmane », on voit se

développer, en revanche, dans les dernières années de l’occupation

britannique, c’est-à-dire les dernières années de Lord Cromer, puis sous

Gorst et Kitchener, une politique éducative. Elle n’est pas directement

liée à la volonté de transformer al-Azhar, mais elle a pour effet de marginaliser

encore davantage la sphère de l’enseignement religieux

musulman. En ce sens, on peut parler d’une continuité avec ce qui fut

entrepris à partir du règne de Mohammed Ali. Mais les Anglais, à cause

de leur expérience indienne, furent très prudents dans leur politique de

développement d’une éducation moderne en Égypte [Starret, 1998].

Cromer écrit dans sa correspondance : « Quoi que nous fassions,

l’éducation produira ses conséquences naturelles, et l’une de ces conséquences,

en Inde comme en Égypte, sera le désir de se débarrasser de

l’étranger. » [Tignor, 1966, p. 320]. Cromer tente donc de limiter

l’éducation de type moderne qui peut être offerte aux Égyptiens, et de la

restreindre dans la mesure du possible à la seule production de fonctionnaires

nécessaires au bon fonctionnement de la bureaucratie et de

professions comme les médecins ou les avocats. C’est en 1902 que

Cromer décrit son programme éducatif pour l’Égypte [Tignor, 1966,

p. 322]. L’enseignement primaire doit être dispensé aux élèves en arabe

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!