13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LE RÔLE DES MISSIONS CATHOLIQUES 329

Lamy, chef de la Fédération des groupes catholiques, auteur en 1900 de

La France du Levant, « la victoire de l’islam sur le christianisme n’eût

pas été le triomphe d’une civilisation sur une autre, mais de la barbarie

sur la civilisation » [Cloarec, 1996, p. 10]. La résistance de l’islam à la

civilisation moderne explique ainsi à leurs yeux les soubresauts de

« l’Orient malade ». « La cause de la révolution, c’est la civilisation de

l’Occident qui s’avance à grands pas vers l’Orient corrompu et abruti

pour le régénérer », expliquait ainsi un missionnaire en 1861 3 .

Le premier vecteur de cette mission civilisatrice est l’enseignement.

Dénonçant la médiocrité des kuttâb et des écoles tenues par le clergé

chrétien local, les missions étrangères, latines et protestantes, cherchent

depuis la première moitié du XIX e siècle à relever l’enseignement,

ignorant tout des réformes entreprises par l’État ottoman. Les missionnaires

apparaissent alors comme « les agents les plus utiles, quand ils

ne sont pas les seuls, de la présence française à l’étranger » [Burnichon,

1914, p. 589]. La volonté du Saint-Siège, avec la définition d’une

politique orientale par le pape Léon XIII, de privilégier l’émergence

des chrétientés locales ne légitimait pourtant pas leur désignation

comme les agents exclusifs de la politique impériale française. Au

Levant et en Égypte, les seules écoles françaises demeurent cependant

essentiellement les écoles de mission. Il est vrai que, dans les colonies

de l’empire français, jusqu’au dernier tiers du XIX e siècle, les écoles

officielles étaient le plus souvent tenues par un personnel congréganiste

employé par l’État avant les lois scolaires de 1880-1886 prohibant leur

présence dans les écoles publiques. Dans l’Empire ottoman, les établissements

missionnaires concourent à l’occidentalisation de la société

levantine en répandant la langue française. Maurice Barrès, à

l’occasion de sa visite à Beyrouth durant le printemps 1914, vante ainsi

les « missionnaires de la langue » [Cabanel, 1998, p. 202]. Parti en

Orient au secours des congrégations, l’auteur d’Une enquête au pays du

Levant mêle la France, le catholicisme et la civilisation occidentale

[Gugelot, 1998, p. 94]. « Je viens vous dire quel respect et quel amour

on professe en France pour vos maîtres », proclame-t-il devant tous les

élèves d’un collège missionnaire français. « Ils vous apportent un

trésor. Car, tout en respectant vos traditions, us et coutumes, ils vous

forment suivant des méthodes françaises qui vous font aimer votre pays

et la France, patrie de tout ce qui est noble, de tout ce qui est beau.

Quelle œuvre éminemment bienfaisante et salutaire 4 ! »

3. Lettre du supérieur des lazaristes à Damas à son supérieur général, 21 juin 1861.

Annales de la Congrégation de la mission, t. 26, 1861, p. 536.

4. Cinquantenaire du collège français des lazaristes. Journal du Caire du 20 juin

1914, cahier 1 Artis, p. 1.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!