13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LES BRITANNIQUES ET L’ISLAM DANS LE SOUS-CONTINENT INDIEN 411

incluaient aussi une minorité de chiites, eux-mêmes subdivisés en duodécimains

et en ismaéliens. Enfin, les musulmans en Inde, loin d’être égalitaristes,

reproduisirent le système des castes, en établissant une véritable

hiérarchisation sociale fondée sur l’origine ethnique, les musulmans se

réclamant d’une extraction étrangère formant une noblesse (elle-même

hiérarchisée) opposée aux convertis locaux subdivisés, eux aussi, hiérarchiquement.

Cette réappropriation du système des castes montre, en tout

état de cause, que ces derniers partageaient des conceptions amplement

comparables à celles des hindous sur la vie en société, ce qui met à mal

la théorie des essentialistes sur l’incompatibilité des valeurs entre

hindous et musulmans [Gaborieau, 2003].

Concernant le statut officiel de l’islam pendant le règne des

souverains musulmans, la chari‘a était théoriquement la loi en vigueur

dans l’ensemble du royaume. Des qazi, désignés par les autorités

politiques, étaient chargés de veiller à son application. Mais, dans la

réalité, l’islam occupait une place assez négligeable dans l’appareil

d’État du sultanat tout comme dans celui de l’Empire moghol : l’islam

ne régissait pas la conduite du gouvernement, ce qui laissait une marge

de manœuvre plutôt étroite aux dignitaires religieux, et permettait aux

souverains musulmans de s’accommoder au contexte local [Gaborieau,

1994a et 1994b]. C’est ainsi que chaque communauté relevait de son

propre régime juridique et bénéficiait d’une certaine liberté de culte.

Reste que malgré cette politique d’accommodation et de relative

tolérance, toutes les communautés religieuses n’étaient pas traitées sur

un pied d’égalité : les musulmans jouissaient d’un statut supérieur aux

hindous, qui étaient considérés comme des dhimmi (non-musulmans,

soumis à des mesures discriminatoires dans un État musulman) et donc

tenus de payer la jizya, une taxe discriminatoire. On trouvait, certes,

nombre d’hindous dans l’appareil d’État, mais ces derniers n’en étaient

pas moins écartés des plus hautes fonctions politiques [Gaborieau,

1999, p. 453]. Force est de constater que, lorsque l’hindouisme avait

été la religion dominante, les souverains hindous n’avaient pas prôné

non plus l’égalité des religions. L’hindouisme « faisait figure de

religion d’État » [ibid.] et toutes les communautés religieuses ne bénéficiaient

pas du même traitement : celles qui étaient classées comme

« étrangères » à l’hindouisme étaient infériorisées (taxes discriminatoires,

ostracisme social, etc.). Appelés mleccha (barbares), les nonhindous

étaient en outre considérés comme des êtres aussi impurs, ou

presque, que les intouchables. Souverains musulmans comme hindous

traitaient donc l’Autre comme des sujets de seconde zone, tandis que

des barrières rituelles séparaient les deux communautés (inter-mariages

et échanges de nourriture interdits par les hindous par exemple).

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!