13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

414

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

EFFETS DE LA POLITIQUE BRITANNIQUE

Cette codification tous azimuts des Britanniques ne fut pas sans

conséquence sur la façon dont les musulmans appréhendaient la

chari‘a et sur la perception qu’ils avaient d’eux-mêmes.

La dépendance des Britanniques par rapport à un nombre très

circonscrit de textes commença par transformer la chari‘a en un

ensemble de règles immuables, alors que l’histoire moghole et

l’histoire islamique, par-delà les continents, montrent que plusieurs

interprétations de la chari‘a pouvaient coexister. Elle eut également

pour effet de minimiser les différences doctrinales entre musulmans.

Même la coutume, système pourtant aux contours plus mal définis

encore, fut perçue comme figée (au sein d’une société, elle aussi,

considérée comme statique).

La codification opérée par les Britanniques exerça également un

impact sur les figures de l’autorité religieuse et leur lecture de la

chari‘a. Face à l’importance conférée par les Britanniques à l’autorité

d’un certain nombre de commentateurs des textes sacrés, les oulémas

renforcèrent en effet leur pratique du taqlid (« imitation »), et lui

conférèrent une importance, mais aussi une rigidité, sans précédent. À

partir de quoi, une nouvelle forme de littéralisme fut adoptée par les

oulémas. Le fait que les Britanniques considèrent la loi islamique

comme arbitraire (argument avancé pour justifier la codification) et les

autorités musulmanes chargées de la faire appliquer comme peu

fiables, incitait d’autre part les oulémas à démontrer que, quoi qu’en

dissent les Britanniques, leurs lois étaient tout à fait prévisibles,

certaines et immuables. Il en découla que, par une sorte de choc en

retour, la rhétorique d’une loi immuable incita les oulémas à nourrir

une interprétation de la chari‘a de moins en moins flexible [Zaman,

2002, p. 23-31]. Plus généralement, l’introduction de lois séculières

occidentales dans certains domaines juridiques consolida la position de

la chari‘a dans les affaires qui demeuraient sous son emprise.

L’administration de la loi islamique par un pouvoir colonial nonmusulman

eut pour effet, en dernier lieu, de transformer la chari‘a et le

statut personnel en enjeux politiques majeurs. À la fin du XIX e siècle,

en effet, alors que s’amorçait le mouvement pour l’indépendance de

l’Inde, plusieurs groupes adoptèrent une approche plus scripturaliste de

l’islam, se réapproprièrent un langage islamique et se mobilisèrent

autour d’une identité musulmane par opposition au pouvoir colonial,

d’une part, et aux missionnaires très actifs dans certaines régions de

l’Inde, de l’autre. Il serait cependant erroné de considérer l’émergence

d’une lecture scripturaliste de l’islam comme résultant uniquement de

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!