13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

262

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

berbère, le capitaine Leglay. Il n’y aura pas de police de la pratique des

dévotions, multipliant comme en Algérie les tracasseries administratives

envers les confréries religieuses. Durant un long congé pour

maladie de Lyautey en France, une enquête serrée sur ces dernières est

décidée par Michaux-Bellaire, le meilleur connaisseur du « vieux

Maroc » promu chef de la section sociologique à la direction des

Affaires indigènes (DAI). Dès son retour au Maroc, Lyautey suspend

cette enquête. Il est significatif qu’il décourage les faiseurs de fiche de

renseignement, qui opèrent dans une optique où la volonté de savoir

coïncide exactement avec les besoins du pouvoir. Alors qu’il sollicite et

encourage la grande enquête sur les corporations orchestrée la même

année par Massignon, qui étrenne alors sa chaire au Collège de France.

Parce qu’il se retrouve dans l’optique du grand arabologue fondée sur

une démarche cognitive allant du dehors/dedans, impliquant non de

dévisager l’autre comme un étranger, mais de l’envisager comme un

frère : l’autre comme soi-même, soi comme un autre.

Une telle perspective n’incline pourtant pas Lyautey à suspendre la

mise en fiches des personnages-ressource — pour user du jargon

contemporain — innervant le tissu conjonctif de la société marocaine.

L’œil de la Résidence voit tout et fait se dissiper de plus en plus

l’opacité originelle de la société marocaine aux yeux du colonisateur 4 .

Mais elle l’incite à ne pas exercer un contrôle de nature policière sur les

saints personnages et les petits lettrés tenus a priori en suspicion en

Algérie, où on fabrique de toutes pièces un clergé musulman et un

islam gallican franco-algérien 5 . L’un de ses constats les plus amers, lors

de son commandement à Oran, ce fut d’observer que l’application

tracassière d’une législation scolaire dictée par l’impératif hygiéniste

autorisait l’administration civile à fermer moult écoles coraniques :

pour une question de « pissotière », s’indignait ce proconsul colonial à

la sensibilité à fleur de peau.

Cette politique d’abstention voyante dans le champ du religieux

n’exclut pas en sous-main un interventionnisme discret sur le terrain

institutionnel. La Résidence fait tout ce qui est en son pouvoir pour

consolider, voire réajuster l’œuvre de régularisation et de modernisation

entreprise par deux ministères encore difformes avant 1912 : celui

de la Justice et celui des biens habous.

4. L’ouverture des archives de la direction des Affaires indigènes est susceptible de

réserver bien des surprises et de livrer une image beaucoup plus policière du premier

protectorat : les Autrichiens à Milan plutôt que les Français à Turin pour en rester à une

lecture stendhalienne du mouvement des nationalités en Italie.

5. Voir le tome 2 de la monumentale thèse de Charles-Robert Ageron, Les Algériens

musulmans et la France, 1871-1919, PUF, 1968.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!