13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

54

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

établis dans l’Empire. À l'instar des Britanniques, ses agents doivent

s’exprimer en français pour se faire comprendre de leurs interlocuteurs

ottomans, ce qui est un facteur de frustration permanente. Étant

largement absente du réseau missionnaire catholique et protestant et

pour des raisons de politique extérieure, l’Allemagne du II e Reich aura

tendance à se poser romantiquement comme une amie de l’Islam et une

alliée de l’Empire ottoman.

CONCLUSION

La projection chrétienne de l’Europe industrielle dans l’Orient arabe

ottoman ne correspond pas, en apparence, à la logique d’une société

industrielle en voie de laïcisation. Pourtant, au départ, tout prédisposait

à aller dans ce sens. La pensée des Lumières, pour des raisons pratiques

(impossibilité de repartir en croisade dans des pays musulmans), comme

pour des raisons théoriques (rejet de la référence chrétienne), avait

construit un nouveau projet justificateur de la colonisation : la mission

civilisatrice. Ce projet est clairement identifiable jusqu’à la décennie

1830 dans les discours de l’expédition d’Égypte, du philhellénisme, de

la civilisation de l’Égypte et de la résurrection de la nation arabe.

C’est bien au moment où la révolution industrielle devient une

réalité que l’Europe adopte une projection chrétienne dans l’espace

ottoman et dans d’autres régions du monde. La première raison est la

recomposition du christianisme européen dans cette période où il n’est

pas seulement en position défensive. Si l’hégémonie sur la totalité de la

société lui échappe, il trouve des ressources pour se lancer dans l’action

compensatoire des missions, dont l’une des motivations profondes est

de restaurer, en dehors de l’Europe, la cité chrétienne homogène qui a

cessé d’être en métropole, au nom d’un projet en partie emprunté à

l’adversaire, celui de civilisation chrétienne. La seconde raison est la

modernisation de la société ottomane, qui passe par une émancipation

des non-musulmans qui constitue une fraction importante de la

population totale. La rivalité des puissances européennes se traduit

alors par une volonté de clientéliser ces communautés et donc de se

montrer proches d’elles. Un tel contexte permet de comprendre

comment l’émancipation des non-musulmans a été à la fois plus rapide

et plus complète que celle des non-chrétiens en Europe, mais qu’elle

s’est faite dans un rapport de groupes humains et non d’individus, pour

déboucher sur la constitution de la communauté confessionnelle, entité

juridique et acteur politique, évolution totalement contraire à celle

connue en Europe.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!