13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

186

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

Israélites à l’exercice de professions utiles et plus particulièrement des

travaux agricoles, gérer le budget 8 .

ABANDON DU STATUT PERSONNEL, ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ

FRANÇAISE : UN PROCESSUS PAR ÉTAPES

Dès 1848, la II e République fait étudier un projet d’accès à la

citoyenneté des Juifs d’Algérie qui restera sans suite. En 1851, Jacques

Cohen, un des deux rédacteurs du rapport de 1842, écrira « à cette date,

les Israélites algériens n’avaient conservé de leur législation nationale

que les dispositions relatives au statut personnel. Sur toutes les autres

matières, ils avaient été, contrairement aux musulmans, entièrement

assimilés aux Français d’origine » [Winock, 2004, p. 68]. Ultime étape

de la mainmise des Juifs de France sur ceux d’Algérie, le Consistoire

algérien fut placé dès 1862 sous la surveillance du Consistoire de

France qui se transforma en Consistoire de France et d’Algérie.

L’ordonnance de 1845, qui réduit la religion juive au culte

synagogal et ouvre la voie aux transformations majeures qui suivront,

reste muette sur l’acquisition de la citoyenneté alors que son

application accélère le processus qui y conduira.

Malgré l’hostilité de certains militaires 9 et de plus en plus de

colons 10 , c’est ce processus engagé alors qui aboutira, en 1870, à la

naturalisation collective de cette judaïcité : soutenue par les nouvelles

élites francisées de la judaïcité algérienne et par les Juifs de France,

soutenue progressivement par les libéraux, les francs-maçons et les

républicains en métropole et en Algérie, une campagne pour l’émancipation

des Juifs d’Algérie, par l’acquisition de la citoyenneté française,

s’engage en France autour d’arguments-force mêlant psychoethnologie

sommaire et pragmatisme : les musulmans demeuraient

hostiles à la France alors que les Juifs l’avaient accueillie comme

libératrice, en tant que citoyens ils renforceraient la présence française

en Algérie, et « leur aptitude admirable à assimiler les principes de la

civilisation qu’on leur apporte » [Abitbol, 1999, p. 156-158] leur ferait

accepter la perte de leur statut personnel à laquelle étaient opposés

8. Voir note 4.

9. « Les soldats et les officiers de l’armée d’Afrique ne se rendirent pas compte de quel

poids pesaient sur eux des siècles d’oppression et d’avilissement ; et la littérature militaire

est beaucoup plus dure, à tout le moins plus méprisante à l’égard des Juifs que des Arabes »

[Julien, 1975, p. 13].

10. Ces derniers méprisaient généralement les « indigènes », tous les indigènes. Et

donner la nationalité française à une partie d’entre eux, qui plus est la plus méprisée,

pouvait préfigurer d’étendre ce droit à tous : ce qu’ils refusaient.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!