13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LES ENJEUX DE LA NATURALISATION DES JUIFS D’ALGÉRIE 181

Lorsque l’armée française débarque près d’Alger en juillet 1830,

les Juifs sont entre 15 000 et 16 000 (sur 2 millions de musulmans),

implantés surtout dans quatre villes : Alger, Oran, Constantine,

Tlemcen, constitués en « nations juives » autonomes les unes par

rapport aux autres. Chaque communauté était sous la responsabilité

d’un « chef de la nation » (moqaddem), lui-même responsable devant

les autorités. Chargé de lever les impôts pour le compte du pouvoir, il

administrait ses coreligionnaires avec l’aide des tribunaux rabbiniques

qui rendaient la justice pour tout ce qui concernait les litiges entre Juifs.

Mais lorsque les plaignants étaient juifs et musulmans, le jugement

relevait des cadis avec, dans ce cas, quelle que soit la situation, la

condamnation du Juif.

À côté de quelques familles de riches négociants, les Bacri, les

Busnach, proches, à leurs risques et périls, du pouvoir turc local, la

population juive d’Algérie, dans l’ensemble très pauvre, est méprisée et

humiliée quotidiennement, comme en attestent tous les récits de

voyageurs, d’ambassadeurs, qui se succèdent dans ces contrées aux

XVIII e et XIX e siècles. Julien souligne « le mépris dans lequel les tenaient

tous les autres groupements et les avanies dont ils étaient sans cesse

victimes qui les amenèrent à une résignation qui n’avait d’autres

compensations que la confiance en Dieu et l’espérance de jours

meilleurs » [Julien, 1964, p 13] 2 . Assujettis aux musulmans, tant sous le

pouvoir des Arabes que sous celui des Turcs, ils étaient couverts

d’impôts spécifiques, interdits de posséder une terre, de porter des

armes, de monter à cheval, d’avoir des vêtements de couleur verte (ce

qui aurait offensé les Arabes) ou rouge (ce qui aurait offensé les Turcs),

c’était eux qui devaient dépendre les pendus, porter sur leurs épaules les

riches musulmans lorsque la pluie rendait boueux les chemins, protéger

jour et nuit les jardins des puissants lors des invasions de sauterelles, etc.

L’ÉVOLUTION DE LA JUDAÏCITÉ ALGÉRIENNE

C’est dans ce contexte global d’humiliation et d’oppression qu’il

faut aussi appréhender l’histoire des relations des Juifs d’Algérie et de

la France. Ces Juifs dhimmis comprirent vite que l’influence et la

pénétration européennes signifiaient un affaiblissement des normes

islamiques traditionnelles de la société et ne pouvaient donc qu’améliorer

leur propre situation.

2. Le même poursuit : « L’isolement des communautés juives d’Algérie et l’ignorance

de la plupart de leurs membres entraînèrent une dégradation, sinon de la piété, du moins

des croyances contaminées par les superstitions locales. »

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!